Entrevue avec François Legault, Premier ministre du Québec.

Entrevue avec François Legault, Premier ministre du Québec, réalisée par Noémie Boutin, Juliette Léveillée, Marie-Pierre Beaudet, Ève Rioux et Éléonore Guévin-Roy des Comités 12-18 de Ste-Sophie d’Halifax, L’Avenir et Tingwick.

Quelle personne vous inspire dans la vie ?

Dans ma jeunesse, il y avait un politicien inspirant, aimé de tout le monde et proche du monde. C’était René Lévesque. En politique, c’est lui qui m’inspire. Dans le monde des affaires, je dirais Bernard Lemaire, il est décédé dernièrement. C’était vraiment un entrepreneur. Les frères Lemaire ont lancé une entreprise (Cascades) et ça m’a donné le goût de faire comme eux. J’ai lancé une compagnie aérienne qui s’appelle Air Transat.

Pourquoi vouliez-vous devenir Premier ministre ?

Il y a toujours eu deux sujets qui sont importants pour moi et à la base de mon implication politique. En tant qu’homme d’affaires, l’économie, c’est essentiel. Quand on compare la richesse du Québec avec celles du Canada et des États-Unis, on est moins riches qu’eux pour toutes sortes de raisons. Les francophones, pendant longtemps, n’aimaient pas les affaires. On était encore en rattrapage et maintenant ce qu’on essaie de faire entre autres, c’est de développer de nouveaux créneaux. Comme dans votre coin à Bécancour, avec la filière batterie. On voudrait attirer davantage d’investissements en offrant de l’électricité, de l’énergie verte.

Le deuxième point que je trouve important, c’est l’identité québécoise qui passe par la protection de la langue française. Je suis fier d’être Québécois. J’ai toujours été nationaliste, j’ai même été souverainiste. On oublie des fois (c’est peut-être encore plus vrai pour vous autres) que le français sera toujours fragile en Amérique du Nord. On est quelques millions entourés de centaines de millions d’anglophones. Moi, je viens de l’Ouest-de l’Île, donc j’étais vraiment entouré d’anglophones à Montréal. Il y a un déclin du français et pour arrêter ce déclin, il faut qu’on commence à augmenter le nombre de francophones. Ce n’est pas facile avec vous autres, les jeunes, parce qu’il y a Internet où presque tout est en anglais (Netflix, Spotify, etc.). C’est vraiment un gros défi. Être aussi riche que nos voisins, ce n’est pas une fin en soi. Mais ça donnerait les moyens de se payer de bons programmes sociaux et d’inverser le déclin du français pour qu’on soit encore plus fiers d’être Québécois.

Comment aimeriez-vous que les gens se souviennent de vous comme Premier ministre ?

Ça c’est facile. J’aimerais qu’ils disent : « François Legault, il a réussi à créer de la richesse et à réduire notre écart de richesse avec nos voisins. Il a aussi réussi à arrêter le déclin du français et maintenant, on est encore plus fiers d’être Québécois ». Mes deux plus grandes raisons d’être en politique sont les mêmes pour lesquelles j’aimerais qu’on se souvienne de moi.

Avec le recul d’aujourd’hui sur la situation de la COVID, qu’est-ce que vous auriez voulu changer ? Les mesures mises en place par le gouvernement ?

D’abord, je dois dire que de façon générale, je suis fier de ce qu’on a fait. On a été sévères, beaucoup plus qu’ailleurs en Amérique du Nord. Je vous donne juste quelques chiffres. Au Québec, pendant toute la pandémie, il y a eu 11 000 morts. Mais si on avait eu le même taux de surmortalité que dans le reste du Canada, on aurait eu 21 000 morts. Si on avait eu le même taux qu’aux États‑Unis, on aurait eu 31 000 morts. Ça veut dire qu’on a sauvé entre 10 000 et 20 000 vies. Il reste que ça a été très dur dans ce qu’on appelle les CHSLD (les résidences pour personnes âgées). On avait l’idée, avant la pandémie d’augmenter les salaires des préposés et finalement on l’a fait au début de la première vague. Si c’était à refaire, je l’aurais fait avant ça.

Quelle est la chose la plus difficile à faire quand on est Premier ministre ?

Répondre aux questions des journalistes comme vous autres. (rires) Je ne sais pas ce que vous allez faire avec ça dans les journaux, mais des fois, on prend un petit bout et on me fait dire des choses que je n’ai pas dites. En ce moment, je vous parle et si vous n’êtes pas d’accord, on peut s’obstiner et échanger. Quand c’est en première page du journal, c’est trop tard. Je me dis que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’avoir dit ça. C’est ça qui est le plus dur.

Quelle situation pendant la pandémie fut la plus difficile pour vous ?

Je dirais que c’est par rapport à vous autres, les jeunes. J’ai des neveux et j’ai deux gars, je sais que ça a été difficile pour vous. Ne pas pouvoir aller dans les gyms alors qu’il y a bien du monde qui aime ça. Ne pas pouvoir voir vos amis. Ne pas pouvoir faire de party le vendredi soir. On disait : « Mettez des masques pour aller à l’école et quand l’école est finie, allez-vous-en chez vous ». Je me souviens quand j’avais treize ans, c’était important de voir mes amis. Je me mettais à votre place et comme le disaient les experts, vous n’étiez pas le plus à risque. Mais vous pouviez transmettre le virus à vos parents et encore plus à vos grands-parents. Eux, ils peuvent mourir. Dans le fond, je vous ai demandé de faire des sacrifices pour sauver des vies, mais ça me déchirait le cœur de le savoir.

Comment le conflit israélo-palestinien affecte votre travail depuis les récents événements ?

Qu’est-ce que vous en pensez, vous ? (rires) Je pense que ça s’ajoute à toute la morosité qu’on a. Avec l’inflation, le coût de la vie a beaucoup augmenté, donc l’épicerie coûte plus cher, le loyer coûte plus cher, etc. Maintenant, en plus de tout ça, ils ouvrent la télévision et voient des enfants qui se font tuer. On a beau se dire que c’est loin, ce sont des vrais enfants qui sont tués. C’est dur pour le moral. Évidemment, on souhaite tous que ça se termine. C’est un conflit qui existe depuis longtemps et qui ne sera jamais facile à régler. Ça ajoute à la lourdeur.

Quel impact apporte la grève dans votre travail ?

Oh, boy ! J’ai été trois ans Ministre de l’Éducation, j’ai passé beaucoup de temps dans des écoles. Je sais que la grève, ce n’est pas bon pour les jeunes. Quand tu manques une semaine, puis deux, puis trois, c’est difficile après de rattraper ton retard. Ça, je trouve ça dur. Évidemment, on essaie avec l’argent qu’on a de s’entendre avec les enseignants sur leurs salaires et leurs conditions de travail. Je voudrais que ça aille plus vite. Ça a un impact sur la scolarité des enfants et moi, c’est ce qui m’achale le plus.

Trouvez-vous que la question de la pluralité des genres est pertinente et quelle est votre opinion sur le sujet ?

C’est un nouvel enjeu partout dans le monde. Avec Suzanne Roy, la Ministre de la Famille, on a nommé un comité des « sages ». Ce sont des gens qui connaissent la sociologie et qui vont regarder ce qui se fait ailleurs. C’est un nouvel enjeu de se dire qu’il y a des personnes qui ne sont ni des hommes ni des femmes et qui se demandent : « C’est quoi ma place ? Est-ce que je peux avoir un X sur mon certificat de naissance ? Est-ce que je devrais avoir accès à des lieux, des toilettes et des services de façon différente ? » Il y a plein de questions qui se posent. Il faut y réfléchir. Ce n’est pas évident. Il y a des parents qui trouvent ça dur. Par exemple, vous avez treize ans, vous voulez changer de sexe, vos parents ne veulent pas, qu’est-ce qu’on fait ? Ce sont des questions fondamentales qu’on ne se posait pas quand moi j’avais treize ans, mais on doit se les poser actuellement. Il y a des experts qui vont se pencher là-dessus. Comme c’est un enjeu qui se passe partout dans le monde, ils vont regarder ce qui se fait ailleurs. Ils vont nous revenir avec des recommandations.

Avec les derniers résultats des sondages électoraux, comment envisagez-vous l’avenir du parti ?

Les sondages, ça monte et ça descend. Six mois, en politique, c’est une éternité. Il reste trois ans avant la prochaine élection, ça veut dire qu’il reste six éternités. Ça va continuer de monter et de baisser, mais j’essaie de ne pas trop regarder les sondages, même quand ils sont en ma faveur. Ce qui est important, c’est de faire les changements qu’on veut faire et obtenir des résultats. Nous, on a cinq priorités : l’éducation, la santé, l’économie, l’environnement et l’identité québécoise. J’essaie de regarder comment ça avance dans ces dossiers plus que comment ça avance dans les sondages.

Comment conseilleriez-vous quelqu’un qui veut se lancer en politique ? Quelles études doit-il/elle faire ?

Je pense que c’est important, avant de se lancer en politique, d’avoir une expérience de vie, d’avoir eu au moins un autre job avant. En politique, tu représentes tes concitoyens. Il faut que tu connaisses les enjeux sociaux et ça ne s’apprend pas juste à l’école, mais aussi par les expériences professionnelles.

Pour vous, la persévérance scolaire, c’est quoi ?

Pour tout le monde, moi le premier, il y a des moments quand on est à l’école que ça ne va pas bien. Tu as des mauvais résultats, tu te fais écœurer (dans la vraie vie ou sur les médias sociaux), tu te retrouves avec d’autres problèmes et tu as le goût de tout sacrer ça là. Il faut résister. Aujourd’hui, on est dans une société du savoir. Si on veut avoir un job stimulant intellectuellement, il faut avoir fait un minimum d’études. C’est long, travailler. Ça se peut que vous travailliez jusqu’à 70 ans si vous êtes en forme. Ça vaut la peine d’étudier, d’aller jusqu’au bout et de passer à travers les moments les plus durs. En somme, de persévérer.

Quel message voulez-vous lancer aux jeunes de notre région ?

On travaille fort dans votre région. Je me souviens qu’il y a vingt ans, c’était dur au Centre-du-Québec et en Mauricie. Quand je comparais le revenu moyen, c’était plus bas que la moyenne du Québec pour toutes sortes de raisons. Il y a eu longtemps des industries dans le secteur du papier à Trois-Rivières et en Mauricie et, avec le temps, elles ont disparu. Même chose pour les compagnies à Shawinigan. Il fallait arriver avec quelque chose de nouveau dans la région. Ce qu’on a fait, entre autres avec la filière batterie, c’est d’amener des jobs : fabriquer des batteries pour des véhicules électriques. Ça va être long de passer des véhicules à essence aux véhicules électriques. Ce n’est pas rien de recevoir à Bécancour des grosses compagnies comme General Motors (GM) et Ford. On avait un parc industriel. Je me souviens l’avoir visité il y a vingt ans. On disait : « C’est le plus grand parc industriel au Canada à Bécancour ». C’est sur le bord de l’eau en plus, c’est bien situé pour le transport des marchandises par bateau. Le parc était vide à l’époque. Maintenant, il est plein. Même que l’inquiétude des entreprises, c’est : va-t-on trouver assez d’employés ? Ce sont de beaux problèmes. Il va falloir qu’on mette en place des formations. Mais je pense que c’est une bonne nouvelle pour le Centre-du-Québec et la Mauricie.

Que pensez-vous des jeunes qui s’impliquent bénévolement dans leur municipalité ?

C’est super! J’adore ça. La solidarité, ce n’est pas juste Québec Solidaire. La solidarité, c’est à la base d’une société. Il faut s’aider les uns les autres. Dans la vie, il y en a qui ont plus de talent que d’autres, il y en a qui sont plus choyés que d’autres. Quand tu es plus choyé, il faut que tu t’occupes de ceux qui le sont moins. Il faut que tu penses à eux, pas juste à toi. Ça commence tôt. Ça commence dans les organismes et les municipalités. Éventuellement, grâce au bénévolat, il y en a qui vont faire de la politique.

Quelle importance doit-on accorder à l’activité physique?

J’aime ça, je suis un passionné de sport. J’ai deux gars aujourd’hui qui ont 30 et 31 ans. Dès qu’ils ont été capables de marcher, ils n’avaient pas le choix, ils jouaient au tennis parce que je suis un maniaque de tennis. Je leur ai en plus appris le ski. Il y en a un qui me critique parce que j’aurais dû lui apprendre le hockey. Mais c’est une autre affaire. Le principe de dire que le sport aide à la réussite scolaire, moi j’y crois. En plus, ça déstresse. Pour moi, c’est bien important.

Que pensez-vous de la relation entre les jeunes et la cigarette et/ou la vapoteuse ?

Je n’aime pas ça. C’est pour ça qu’on a enlevé les saveurs dans le vapotage. Il y en a qui n’ont pas aimé ça. Il faut tout faire pour éviter de tomber là-dedans. Ce n’est pas bon pour la santé.


Entrevue avec Marie-Claude Demers, sculpteure de bronze.

Entrevue avec Marie-Claude Demers, sculpteure de bronze, réalisée par Geneviève Duclos du Comité 12-18 d’Inverness.

Décrivez-nous votre entreprise.

Je suis sculpteure de bronze. J’ai envie de mettre une parenthèse, on dit « sculpteure de bronze », mais si j’ai envie d’être plus vraie, je suis modeleuse. Moi, dans le fond, je fais de la plasticine, au début de la sculpture. Mais oui, le résultat final est en bronze, donc on dit pour que les gens comprennent, « sculpteure de bronze ».

Quel type de métier peut-on retrouver dans votre entreprise ?

Dans mon entreprise, je suis toute seule ici, dans l’atelier, à faire le modelage. Je fais la sculpture. Mais quand j’ai terminé, je l’amène dans une des deux fonderies au village et puis là, plusieurs départements s’occupent de transformer ma sculpture.

De un, le fondeur avec qui je fais la soumission. On regarde le format et tout et il me dit le prix que ça va me coûter. Ensuite de ça, la sculpture va rentrer au moulage. On a ceux qui vont faire les moules. Après ça, il va y avoir d’autres personnes, une fois le premier moule fini, qui vont couler la sculpture en cire. Ensuite, quand la cire va être prête et corrigée, on va avoir d’autres personnes qui vont faire le moule en céramique par-dessus. Quand la céramique est terminée, on fait fondre la cire et on coule en bronze. Donc, il y a les équipes qui coulent le bronze. Quand le bronze est terminé, on a le bufflage, donc on a les équipes qui font la soudure, le bufflage, tout assembler ça. Puis, il y a les patines. En ce moment, ce n’est que des filles, ça adonne comme ça. Ce sont les couleurs qu’on voit sur le bronze. Donc, ce sont des oxydes qu’on applique sur le bronze pour que la torche vienne se fixer sur le métal et ça donne l’effet que tu vois là, au niveau des couleurs. Donc, il y a aussi les filles des patines.

Dans mon travail, il y a tout ce monde-là, mais moi, de mon côté, mis à part que je fais l’argile, je porte plusieurs autres chapeaux aussi. On peut m’appeler la secrétaire, la réceptionniste, la livreuse, la vendeuse… On en oublie. Je porte plusieurs autres chapeaux que juste faire de la sculpture. Les gens m’imaginent juste en train de faire de la sculpture, mais il y a beaucoup d’autres choses que ça comprend.

Quelles sont les valeurs de votre entreprise ?

Les bases, il y en a beaucoup, c’est clair que c’est l’honnêteté, la confiance et la transparence. Je pense que ça, c’est super important envers moi, mes clients et les gens avec qui je travaille aussi parce que tout part de là. Surtout que ce sont des œuvres qui sont quand même dispendieuses. Donc, je pense que les gens ont besoin de sentir qu’ils sont en train de faire un bon investissement, d’être à la bonne place. Ils investissent sur une œuvre, mais ils vont acheter une partie de l’artiste aussi. Donc, c’est sûr qu’il faut que tu aimes l’artiste. Si tu n’aimes pas l’artiste, tu iras pas acheter une œuvre. Donc, ça c’est les principales valeurs, mais je pourrais t’en mettre plein d’autres qui tournent autour de ça.

Quelles qualités de base recherchez-vous chez vos employés quand vous les embauchez ?

Comme je disais, les gens des fonderies, ce ne sont pas mes employés, mais côté qualité, je pense qu’on est pas loin de ce que j’avais dit. C’est sûr que quand je jase avec les gens, que je suis avec eux autres, c’est clair que j’ai envie qu’il y ait de la transparence, de l’honnêteté, de la confiance aussi dans ce qu’ils me disent. Moi, je transige avec mes clients, mais si eux me disent qu’ils vont me donner une sculpture mais qu’ils ne sont pas prêts et que mon client s’en vient… Il faut vraiment s’entendre. Je repars sur les mêmes valeurs de base.

Y a-t-il des réalisations ou des projets de votre entreprise dont vous êtes particulièrement fière ?

C’est sûr qu’il y a des sculptures que j’aime plus que d’autres. Mais le défi de sculpter est grand en lui-même parce que de un, c’est de longue haleine. Ce qui est difficile, c’est de pas perdre l’intérêt quand ça nous prend plus d’un an pour finir une sculpture à temps partiel. Des fois, je peux même la laisser de côté un mois, deux mois, trois mois. De pas perdre l’intérêt, c’est important, mais des fois, ça peut arriver que tu aies moins le goût, tout simplement. Mais j’ai mis tellement de temps, on a investi tellement d’heures que ce serait triste de laisser tomber. Il y a la question d’argent aussi. C’est long à ramasser, tout l’argent pour couler ça. Donc, c’est une fierté de tenir bon jusqu’au bout pour la faire et d’avancer là-dedans, en ayant complètement confiance en l’univers. Moi j’avance sans savoir si je vais la vendre ma sculpture. C’est une fierté de dire : « Oh my god, je l’ai fait, je suis allée jusqu’au bout ». Il faut être fou un peu, mais ça aide, c’est une belle folie.

Selon vous, quels sont les avantages à travailler en région ?

Je ne suis pas une fille de ville. Ici, j’ai un univers absolument parfait, pour moi, que j’aime. Dans mon village, j’ai les deux fonderies. Il y a rien de plus merveilleux que d’être à cinq minutes des fonderies quand j’ai besoin d’y aller. Je n’ai pas besoin d’y aller tous les jours. Je connais beaucoup d’artistes qui restent à Montréal et à Québec qui font du bronze. Ils doivent venir jusqu’ici. Ce sont des heures et des heures. Des fois, le projet est sur quelques jours et ça leur prend une place à coucher. Tout est plus compliqué. Alors que moi je reviens à la maison, je fais mon petit dîner et si j’ai besoin d’y retourner dans l’après-midi, c’est pas grave. Des fois, en plus, on a besoin d’aller à la fonderie, mais on a besoin d’être là juste cinq, dix ou quinze minutes. Si u es à Montréal, tu fais quatre heures d’auto, peut-être plus, alors que tu as besoin d’être là vingt minutes. C’est dommage un peu. Alors moi, je me trouve dans un paradis. (rires)

Comment se passe une journée de travail pour vous ?

Comme je te disais tantôt, j’ai plusieurs autres chapeaux. Si je suis secrétaire, je suis en train de faire de la paperasse et de la comptabilité. Si je suis sur la livraison, je dois monter à l’extérieur livrer des sculptures. Mais la majorité de mes journées, je déjeune et après je vais marcher jusqu’au pont s’il fait beau. Je reviens. Et là, je rentre dans l’atelier et je vais faire de l’atelier pas mal tout l’avant-midi. Mais des fois, je peux prendre une pause au milieu de l’avant-midi pour aller dans le jardin et chercher des petits légumes. Et là, je reviens dans l’atelier et je suis déjà en train de penser à mon petit dîner qui est très créatif parce que j’adore cuisiner. C’est un bel art aussi.

L’après-midi, je reviens dans l’atelier. Mes pauses servent davantage à des trucs maison, désherber un peu. C’est sûr qu’entre ça, il peut y avoir des appels avec les fondeurs. Ça arrive qu’ils m’écrivent pour me dire que telle chose est prête. Dès qu’ils m’écrivent et qu’ils ont besoin de moi, tout de suite j’y vais. J’essaie de pas retarder les équipes parce que s’ils attendent mon approbation, tout le monde attend. Ils peuvent faire autre chose en attendant, mais je bloque tout le monde dans l’avancement de ma pièce. Je lâche tout ce que je fais. Je peux y aller trois ou quatre fois par semaine, sauf quand j’ai beaucoup de stock en route dans les fonderies. Là, ça arrive que j’y aille même trois fois par jour, pas longtemps, c’est presque un aller-retour. Mais je dois aller approuver pour qu’ils puissent continuer leurs trucs. Ça, c’est ce qui vient couper mes heures d’atelier. Grosso modo, ça ressemble à ça.

La création, mine de rien, ça demande quand même une certaine énergie. Comme je me connais, je sais quelle partie va être la plus demandante niveau créativité. Quand je suis plus fatiguée, je la mets de côté et je fais mon bonhomme en argile parce que ça demande pas vraiment de créativité. Je me garde des tâches pour quand je suis plus fatiguée. Je vais continuer de travailler, mais pas au niveau créatif. Je peux faire de la comptabilité, mon bureau est dans la maison. J’essaie d’alterner. En tant que travailleuse autonome, tu ne veux jamais perdre ton temps. J’essaie de changer de tâche pour pas rien faire.

Quelle est la partie de votre travail que vous préférez?

C’est faire de la création avec la plasticine. Je n’en fais pas assez. Les gens m’imaginent toujours comme je disais en train de faire de la sculpture, mais le reste prend beaucoup de place malgré tout. J’étais en symposium ces dernières semaines. Le avant est demandant parce qu’on « pack » le stock, on se prépare et tout. Le pendant aussi. Le après parce qu’il y a beaucoup de clients avec qui je prends contact, on parle, on planifie des affaires, on téléphone à la fonderie pour savoir si on va avoir des sculptures. Pendant cette période-là, je ne fais presque pas de sculptures.

Jusqu’où rêvez-vous d’amener votre entreprise ?

Je suis une fille qui est constamment choyée et qui a constamment des rêves. Je te dirais qu’il faut prendre le temps, mais je les atteins tous. Je construis ça au fur et à mesure. Je suis tellement heureuse que j’avance et je les fais tous. Faire des grandes sculptures, je te dirais que ce sont des beaux rêves, mais on fait tout ça en temps et lieu. Je ne sais pas si c’est parce que je vieillis, mais le bonheur est aussi dans des petites choses. Souvent, on imagine qu’il faut que ce soit incroyable. Oui, des grandes sculptures, c’est magnifique, mais crime, de réaliser ce que je fais là, je fais : « Ayoye ». Si la vie me donne la chance de continuer ce que je fais là, je suis déjà dans ce qu’il y a de plus merveilleux.

Pour quelles raisons devrait-on travailler pour votre entreprise ?

Oh, si tu as envie d’être heureux dans la vie, c’est la première chose que tu devrais choisir, il n’y a rien de plus merveilleux. (rires) Pourquoi on devrait faire cette job-là ? Tout est tellement personnel d’une personne à l’autre. Je ramènerais ça à faire quelque chose qui te passionne. Pourquoi ? Parce que c’est du bonheur à chaque jour. Tu trippes. Qui ne voudrait pas du bonheur chaque jour ? Je sais que cette job-là conviendrait pas à tout le monde. Si les gens pouvaient trouver ce qui les rend heureux et travailler dans ce qui les rend heureux… C’est ça le but de la vie à mon avis.

Qu’est-ce qui vous inspire dans la vie ?

C’est une grande question. Je reviens encore à ce que je viens de te répondre. Je crois que ce sont les choses simples de la vie, que ce soit mettre des fleurs dans un beau jardin, faire un beau plat qui te fait tripper ou parler avec des gens avec qui tu t’entends bien. Quand tout le monde est en santé, que personne a mal nulle part, juste des choses de base de nos jours. Moi, je trouve ça merveilleux. Un beau coucher de soleil, des beaux nuages. C’est simple, mais mon dieu tout est là. Les gens des fois imaginent tellement des choses immenses pour que ce soit trippant et incroyable. Je pense que le bonheur est dans les petits plaisirs.

Qu’est-ce qui vous a inspirée à sculpter avec du bronze ?

Si je t’explique mon cheminement, avant j’étais peintre. J’aimais ça. Ce n’est pas que j’aime plus ça, mais quand je suis déménagée ici à Inverness, il y avait deux fonderies d’art. Ça me faisait tripper parce que j’étais petite et je faisais déjà des sculptures. Pas en bronze, évidemment, mais en argile. C’était déjà en moi. J’étais déjà une petite artiste. Je dessinais, je faisais de la peinture, je faisais de la sculpture et tout. J’avais entendu dire qu’à Inverness, il y avait des fonderies d’art. Je n’avais jamais eu personne dans mon entourage qui avait pu m’en parler ou qui connaissait ça. Quand je suis arrivée ici, mon voisin travaillait dans une des fonderies. Il y avait un artiste pour lequel j’avais de l’admiration, il peignait et faisait de la sculpture de bronze. Mon voisin m’a dit que cet artiste allait être là cette semaine, telle journée et que si ça me tentait de venir voir, il serait là. Je suis allée voir ça. Quand je suis entrée dans les fonderies, j’ai fait : « Oh my god, ça me parle ». Tout de suite, j’ai commencé à faire des sculptures et tout de suite j’ai voulu la couler. Et là, je suis devenue une fille « heavy metal. » (rires) Je suis tombée dans la potion magique et j’ai fait : « Oh, c’est mon médium ».

Je trouve que le bronze, c’est noble, c’est chic, ça passe les siècles. Écoute, si tu passes au feu, c’est la seule affaire qui te reste. Ça va perdurer dans le temps. C’est plaisant de faire quelque chose que tu sens qui va rester. Je me trouve choyée. Ce qui est plaisant aussi, c’est que ce sont des séries. Ça me permet de prendre plus le temps sur chacune, contrairement à un tableau. Je t’explique, quand j’étais peintre et que je vendais plusieurs tableaux, vite, ça pressait, il fallait que j’en fasse d’autres. Mais les tableaux étaient longs à faire quand même et je voulais qu’ils soient beaux. Ça prenait du temps. Mais la sculpture, je peux prendre plus mon temps parce que comme ce sont des séries, ils m’en font une autre. Si j’en vends, je ne suis pas pressée, ils vont m’en refaire une autre. Moi, quand j’en fais une, je peux être deux ou trois mois sur un modèle. Je veux la rendre magnifique jusqu’au bout. Mais je suis moins pressée parce que je sais que je ne manquerai pas de stock pour le prochain événement ou la prochaine galerie. Ça me permet d’être plus posée et d’aller plus loin dans mon travail sans être stressée.

Est-ce qu’il y a certaines de vos sculptures qui sont exposées dans le village qu’on peut voir ?

Oui, au village en face du dépanneur, il y a la sculpture de deux personnages à moto, le gars et la fille. À l’entrée du musée, c’est la même mais reproduite en plus grand et avec plus de détails. Parce que dans le fond, j’ai recommencé le même modèle, mais on reprend le même concept. J’y ai caché deux souris et deux mouches, il va falloir les chercher quand vous allez les voir. (rires) À la boutique du musée, il y a toujours des petites œuvres de moi aussi en permanence.

Il y en a juste une dans le village ? Parce que je sais que ça fait longtemps, six ou sept ans, mais il y avait des sculptures qui avaient été brisées dans le village par on ne sait pas qui.

Oui, il y avait eu des sculptures volées, arrachées.

Et la vôtre ?

La mienne a pas été touchée.

Qu’est-ce que ça vous a fait de voir celles des autres défaites ?

C’est triste parce que dans le fond, ce qu’on observe c’est que ces gens-là se sont imaginé que ça valait cher. C’est ce qu’on entend dire. Mais ce n’est pas le bronze qui vaut cher, c’est la main-d’œuvre et le temps qu’on a pris pour faire la sculpture. Parce que pour le bronze comme tel, le métal, il vaut plus ou moins cher. C’est juste que toutes les étapes que je t’expliquais tantôt, ce sont des mois de travail. C’est ça qui coûte cher dans une œuvre. Alors que la personne qui a décidé de voler, on s’entend qu’au niveau de la réflexion, on est limité. Et on est deux fois plus limité parce que le bronze, il ne connaissait pas ça. Lui, il brisait les sculptures pour aller vendre du métal. Ce n’était même pas pour l’œuvre d’art qu’il la volait parce qu’il la coupait et il partait. Du métal qui vaut absolument presque rien. Et l’autre chose qu’il sait pas non plus, c’est que toutes les œuvres d’art sont numérotées. Tu ne peux pas aller revendre ça comme ça si facilement sans te faire attraper.

Donc ces gens-là sont limités j’ai envie de dire dans leur réflexion parce que s’ils étaient un peu plus connaissants, ils auraient jamais fait ça. C’est triste parce qu’ils brisent le travail des artistes et les fonderies ont investi là-dedans, c’était un « package ». C’est dommage parce qu’on essaie de construire des choses belles alentour, d’embellir, on met de l’énergie et du temps. Ça manque de réflexion en arrière de ça, mais… ça arrive.

Pour vous, la persévérance scolaire, c’est quoi ?

Je le vois vraiment comme travailler plus fort que certains qui l’ont peut-être plus facile. C’est vouloir faire plus pour aller plus loin, se dépasser personnellement, vouloir aller jusqu’au bout, dépasser ses limites. Je le vois comme ça.

Quel message voulez-vous lancer aux jeunes de la région?

De un, de rêver. De deux, de croire en ses rêves. De pas lâcher le morceau. Il y a des étapes, du temps. Tout n’arrive pas d’un seul coup. Mais quand tu as un rêve, tu le gardes, tu le construis étape par étape. Tu réfléchis à ce qui peut te mener vers tes rêves et aux actions que tu peux poser constamment pour t’en rapprocher. Ça prend du temps et de l’énergie, mais tout peut arriver, tout est réalisable. J’y crois profondément parce que ma vie n’est que ça. J’ai réussi parce que j’y ai cru profondément. Tu sais, l’expression « Aide-toi et le ciel t’aidera » ? Ça marche. Mais il faut y croire profondément. Il faut faire attention aux influences alentour aussi. Dans le sens où c’est correct des fois que les gens peuvent t’apporter leur avis et c’est important aussi, mais il faut construire avec tout ça. Ce n’est pas mauvais des fois quand les gens te disent : « Oh, mais ça, fais attention à ça » parce qu’ils veulent nous protéger. C’est correct. Il faut juste prendre ce qu’ils disent, réfléchir à comment je balance ça pour aller vers mes rêves. Toujours garder le cap vers les rêves. Ça se peut aussi que les rêves changent en cours de route parce qu’il y a d’autres choses qu’on apprend et qu’on découvre et hop, tu découvres quelque chose d’encore plus trippant. C’est ben correct, on est ici pour avancer, découvrir et changer. Mais mon dieu, rêvez et réalisez vos rêves. C’est possible.

Qu’est-ce que vous pensez des jeunes qui s’impliquent bénévolement dans leur municipalité ?

J’ai beaucoup d’admiration. (rires) Je trouve ça « cute » et je trouve que ça leur permet d’apprendre énormément. Tout ce qu’ils côtoient, les expériences, les gens, je crois que ça fait grandir.

Quelle importance doit-on accorder aux activités physiques ?

Je trouve ça important de bouger, de faire des choses, ça aide l’équilibre dans ta tête, dans ton cœur, dans ton corps. Ça prend de l’exercice et une bonne alimentation. J’insiste parce que l’alimentation et l’exercice, pour moi, ce sont deux choses qui doivent être là. Ce que je trouve, c’est qu’aujourd’hui, c’est tellement plus facile. Je retourne quand j’étais à ton âge, la différence, c’est fou avec Internet. Vous posez une question sur un aliment ou un exercice et vous avez tout sous la main. Vous n’avez pas besoin d’engager un entraîneur ou une diététiste pour apprendre. Vous avez tout pour apprendre entre les mains. Alors dès que vous vous posez des questions, allez chercher. Quel muscle renforcir ? Quel aliment choisir ?

Il y a plein d’applications pratiques. Yuka, c’est une application sur ton cellulaire. Tu es à l’épicerie, des fois c’est long lire tous les ingrédients. Amuse-toi à scanner les codes-barres de ce que tu as dans ta maison. Tes chips, tes petits gâteaux, tes pâtes alimentaires, l’autre sorte de pâtes… À l’épicerie, tu es pressé, tu n’as pas envie de vérifier les ingrédients de chaque truc que tu achètes. Des fois, on fait : « Telle marque ou telle marque ? C’est le même prix pour chacune, je vais choisir laquelle ? » Avec l’application, ça va te dire que celle-là, c’est mauvais parce qu’il y a tel, tel et tel ingrédient. Celle-là, elle passe à temps. Tant qu’à choisir quelque chose, pourquoi on ne choisirait pas quelque chose qui est bon pour nous ? Je ne vais pas faire un cours de nutrition aujourd’hui, mais ça me tente. (rires) C’est plaisant, ils le font aussi pour les produits quotidiens. Nous autres, les filles, on aime ça, tant qu’à choisir un petit truc pour le visage. Lui, lui, lui, Yuka fait : « Mauvais ! Mauvais ! Mauvais ! Zéro ! Pas prendre ! »

Que pensez-vous de la relation entre les jeunes et la cigarette et/ou la vapoteuse ?

Tu me parles de ça et je trouve ça triste. Ce que j’aimerais dire, c’est que si chacun était capable d’arrêter et de se dire : « Ça m’apporte quoi, ça ? Et si j’arrêtais, ça m’apporterait quoi ? » Parce qu’on a des réflexes dans la vie qui s’installent et puis à un moment donné, ça devient une compensation, etc. On en a tous, on est des humains, on n’est pas parfaits. Mais vous êtes jeunes, c’est le temps de se poser des questions et de casser les mauvaises habitudes tout de suite. Comme je disais, vous avez tellement de ressources maintenant. Vous avez toute la force avec vous. Utilisez-la, la force. Je me questionne, je peux faire des petites recherches Internet pour m’aider si j’ai envie d’arrêter. Puisque je tends vers un côté santé, j’aurais envie de dire que vous êtes jeunes, c’est le temps de casser les mauvaises habitudes avant d’être un peu plus vieux, de trouver ça encore plus difficile et d’avoir déjà abîmé une partie de votre corps.