Entrevue avec Serge Harnois, président de Harnois Énergies, réalisée par Brittany Guay, Jasmine Provencher et Liliane Provencher du Comité 12-18 de St-Louis-de-Blandford.

Quand vous étiez jeune, aviez-vous une idée de ce que vous vouliez faire ?

Jeune, j’aimais beaucoup la chasse et la pêche. Je voulais être ingénieur forestier pour pouvoir être dans le bois. Mais ça a changé vite. À l’adolescence, je savais que je voulais m’en aller en « business » comme mes parents. Je les regardais travailler et ils avaient l’air d’aimer ça, alors je voulais faire comme eux.

Quelles études avez-vous effectué pour devenir l’entrepreneur que vous êtes aujourd’hui ?

Après le secondaire, je suis allé au cégep. Dans le temps, le programme s’appelait « Sciences pures » et maintenant, je crois que c’est « Sciences de la nature ». Je voulais probablement être ingénieur. À un moment donné (je ne sais pas quelle bulle m’a passé par la tête), j’ai fini mon cégep en « Sciences pures » et j’ai décidé d’aller faire une technique administrative. Je voulais travailler avec mon père et je ne pensais pas avoir besoin d’un bac pour gérer l’entreprise. Elle comptait alors une dizaine d’employés. Je suis donc resté au cégep plutôt que d’aller à l’université. Je me disais que j’allais me la couler douce et jouer dans l’équipe de soccer du cégep. Après ça, je m’en irais travailler. Sauf que mon frère Luc est arrivé dans l’entreprise pour informatiser la boîte. Lui, c’était un ingénieur, il était allé à l’université. J’aurais peut-être fait pâle figure à côté de lui avec mon diplôme de cégep. C’est comme ça que je me suis décidé à m’inscrire en finances au HEC Montréal.

Est-ce que vous aviez de la facilité à apprendre à l’école ?

Oui, c’est pour ça que ça aurait été un gaspillage que je n’aille pas à l’université. J’ai une excellente mémoire et une bonne logique. L’école n’était pas difficile pour moi.

Est-ce qu’il y a eu un élément ou un événement marquant dans votre adolescence qui a fait en sorte que vous saviez ce que vous alliez faire plus tard ?

Mon père était comme moi, il travaillait à son compte. À dix ou douze ans, quand ma mère ne savait pas quoi faire avec moi, elle m’envoyait soit avec un chauffeur de « truck », soit avec mon père. Elle se débarrassait de moi, si on veut. L’idée de rencontrer et travailler avec les clients, ça m’intéressait. Je voyais mon père négocier avec des clients, justement. Ça a dû jouer sur mon envie de suivre ses pas. En plus, son bureau était dans la maison. Des fois, je prenais mon bain et des clients venaient me voir. (rires)

Qui vous a le plus encouragé lors de votre démarrage d’entreprise ?

Votre génération est gâtée, vos parents vous encouragent et vous prennent dans leurs bras. Moi, j’ai moins connu ça. Mais je voyais que mon père était content de moi, même s’il ne le disait pas, par son ton de voix ou sa gestuelle par exemple. Ça faisait son affaire que l’entreprise m’intéresse. Il était derrière moi. Je pense qu’il ne voulait pas me mettre de pression. La ligne est mince entre encourager son enfant et lui mettre la pression. Je pense que ce qu’il voulait, c’est qu’on soit heureux et qu’on fasse ce qu’on a à faire.

Qui a créé le tout premier poste d’essence ?

Mon père, qui a 90 ans aujourd’hui, a parti la compagnie mère. Ça fera 66 ans cet automne. Mais ce n’était pas un poste d’essence à la base, c’était une usine d’huile pour chauffer les maisons et aider les cultivateurs dans leur travail. Ensuite, on a été avec la compagnie Texaco qui a par la suite été achetée par Esso. Il fallait trouver une bannière. Mon frère, ma sœur et moi, on s’est dit : « Pourquoi pas Harnois ? » C’est comme né par hasard, il fallait trouver quelque chose. La bannière Harnois existe depuis à peu près 35 ans, mais la compagnie existe depuis 66 ans.

Combien y a-t-il de succursales Harnois au Québec ?

Il y en a peut-être 190. Mais Harnois Énergies regroupe sous son nom des stations-service Harnois, Esso et quelques indépendantes. Au total, ça doit faire plus de 450 stations.

Quel aspect de votre emploi vous intéresse ?

Les relations avec les gens, mais pas que ça. J’aime voir du monde, mais on dirait que plus on vieillit, plus on a envie d’être seul des fois. (rires) Donc, ça me plaît de faire de la comptabilité et de m’assurer de l’efficacité de l’entreprise. En même temps, les relations humaines, c’est toujours intéressant.

Si vous étiez un employé de Harnois Énergies, quel poste aimeriez-vous le plus occuper ?

Répartiteur, c’est une belle « job ». Tu reçois les commandes des clients. Tu planifies les déplacements. Il faut que tu t’assures que les camionneurs ne se promènent pas pour rien, mais que les clients ne manquent pas d’essence. En même temps, il ne faut pas en livrer pour rien, juste en petites quantités. Il faut maximiser les livraisons. C’est intéressant, ça a été ma première « job ».

Est-ce que vous pensez que dans cinq à dix ans, Harnois Énergies aura beaucoup évolué ?

Oui, l’avènement des autos électriques et l’amélioration des autos à essence vont avoir un impact sur les compagnies pétrolières. Il va y avoir un déclin de la consommation d’essence dans les prochaines années. Comme vous le savez, à partir de 2035, il n’est plus supposé se vendre d’autos à essence. Est-ce que ça va arriver ? Des fois, les promesses électorales sont loin de la réalité. Mais c’est sûr qu’il faut apprendre à s’adapter. Chez Harnois Énergies, on est aussi dans le ravitaillement d’avions, l’antigel, le propane, etc. Toute entreprise qui arrête d’évoluer meurt à un moment donné. C’est vrai pour nous, c’est vrai pour un dépanneur, c’est vrai pour tout. Si on fait de la « business » comme on en faisait il y a 20 ans, un jour on ne sera plus là.

Quelles sont vos plus belles réalisations sur le plan professionnel ?

Quand je suis arrivé dans l’entreprise en 1989, l’entreprise était beaucoup plus petite. On était une dizaine d’employés et maintenant on en est à 2000. Mais je suis fier d’avoir pris une entreprise régionale et de l’avoir amenée à travers le Québec, géographiquement et dans plusieurs lignes de produits. Aujourd’hui, c’est une entreprise solide financièrement parce qu’on est dans plusieurs domaines et points géographiques. Il faut savoir qu’au début, il y avait des guerres de prix concentrées dans la région de Joliette. Comme c’est là qu’on était, on en a beaucoup souffert. Être répandu géographiquement, ça nous permet de supporter des détaillants d’autres régions et de mieux gérer la compétition.

Pour vous, la persévérance scolaire, c’est quoi ?

C’est de continuer et de trouver sa voie, même si des fois ce n’est pas toujours évident. Ce n’est pas tout le monde qui va devenir médecin, ingénieur ou avocat. Mais aujourd’hui, vous avez la chance d’avoir le choix entre plein d’emplois. Il suffit de trouver la branche dans laquelle on est bien et heureux. Même si on a des difficultés dans quelque chose, on peut se réessayer ailleurs jusqu’à ce qu’on trouve ce qui va nous rendre heureux le reste de notre vie. On se concentre parfois trop sur les cours au cégep et à l’université alors que tu peux très bien réussir dans la vie en persévérant dans quelque chose que tu aimes. Tu n’as pas forcément besoin d’un bac. Je connais des électriciens comme ça. C’est dommage, ce ne sont pas des quarts de métiers valorisés et on manque d’employés. Moi, quand j’ai fini mes études, je suis allé passer des entrevues pour trouver un « job ». Aujourd’hui, c’est l’employé qui choisit l’employeur et non l’inverse. Profitez-en, mais n’oubliez pas que ce sera plus difficile de vous trouver un emploi si vous avez arrêté d’aller à l’école après la 6e année. Il ne faut pas lâcher, même si c’est plus dur. Il faut toujours se relever.

Quel message voulez-vous lancer aux jeunes de notre région ?

C’est un peu le même message que je vous ai fait tantôt. Faites vos essais et erreurs. Trouvez ce dans quoi vous pensez vous amuser. Si vous faites un « job » parce qu’il est payant, mais que vous n’avez pas de plaisir, vous ne serez jamais heureux. Mais si vous faites un « job » parce que vous l’aimez et qu’il vous passionne, automatiquement ça va être payant. Vous ne compterez pas vos heures. Faites ce que vous aimez. Si chaque matin vous vous levez pour aller travailler et que c’est pénible, ce ne sera pas le « fun ». Le message que j’ai à passer, c’est que la seule façon de ne pas avoir l’impression de travailler, c’est de faire ce qu’on aime.

Que pensez-vous des jeunes qui s’impliquent bénévolement dans leur municipalité ?

C’est un plus. Quand on est à l’école, peu importe le niveau (secondaire, cégep ou université), on « focus » sur les notes. Vous êtes trois filles et je ne veux pas être sexiste, mais quand j’allais à l’école et que les filles n’avaient pas de grosses notes, c’était le drame. Quand les gens finissent l’université et qu’ils viennent passer des entrevues, on ne leur demande pas leurs notes. On ne leur a jamais demandé leurs notes. Par contre, s’ils se sont impliqués bénévolement quelque part ou dans une association étudiante, pour nous c’est bien plus important que les notes à l’école. Ça démontre qu’ils ont fait autre chose et qu’ils ont ouvert leur esprit. C’est une très bonne affaire.

Quelle importance doit-on accorder à l’activité physique ?

C’est très important. Depuis un an, j’en fais moins et il faut que je m’y remette. (rires) Chez nous, on suffoque dans l’activité physique à travers différentes organisations et avec les employés. On subventionne une organisation qui s’appelle Fillactive. Ça a été démontré que malheureusement, les filles à l’adolescence arrêtent de faire du sport pour différentes raisons. Ça peut être les changements hormonaux ou les comparaisons avec leurs amies. C’est malheureux. On pousse pour que ça change. En même temps, on pousse nos employés à faire du sport parce que ton cerveau, c’est un muscle. Si tu travailles ton corps, ton cerveau va être en santé et il va mieux travailler. On fait ça pour nos employés parce qu’on les aime et on le fait aussi pour nous. Des employés en forme et en santé vont travailler plus efficacement, ils seront plus positifs et aurons moins d’absentéisme. C’est juste du bon. Plus les gens sont en forme, moins ils se retrouvent à l’hôpital. Regardez le Grand défi Pierre Lavoie, c’est plein de bon sens. Pourquoi on met tant d’argent à soigner le monde malade alors qu’on serait peut-être mieux d’investir pour qu’ils soient moins malades ? Au bout du compte, ça ne coûterait pas plus cher.

Que pensez-vous de la relation entre les jeunes et la cigarette et/ou la vapoteuse ?

Je ne suis pas la meilleure personne pour répondre à ça. Mes parents fumaient. Je viens de Joliette, une région où on faisait du tabac. C’était « in » de fumer dans les années 70. Il y avait même le Festival du tabac que mon père avait créé. Mais je n’ai jamais fumé de ma vie. Mes parents fumaient et ça m’écœurait sérieusement. Je trouve ça triste que ça existe encore. Je ne comprends pas pourquoi les jeunes fument. Oui, c’est « cool », mais tu embarques dans une relation de dépendance qui t’empoisonne. Je trouve ça vraiment dommage. Je suis antitabac, même si on en vend beaucoup dans nos dépanneurs. (rires) Mais on n’est pas là pour encourager les jeunes à fumer. « Anyway », ils vont en acheter en contrebande ou d’autre chose. Ce serait une bonne chose si on vendait autre chose à la place. En plus, ça coûte cher, ça gruge ton budget. Ce que tu mets dans la cigarette, tu ne le mets pas dans des aliments de santé qu’on pourrait vendre.