Entrevue avec Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, réalisée par Corine Bradette, Noémie Boutin, Shanny Croteau, Antonin Arès et Étienne Monty des Comités 12-18 de Notre-Dame-de-Lourdes, Ste-Sophie d’Halifax, St-Rémi-de-Tingwick, Tingwick et Inverness.

Comment étiez vous à l’adolescence ?

J’ai été élevé sur une ferme laitière. Je n’ai pas eu une adolescence très « olé olé », mais plutôt très sérieuse parce qu’on travaillait tout le temps. J’étais dans un pensionnat en semaine et les fins de semaine, on retournait à la maison et on travaillait sur la ferme. L’été, c’était aussi du travail sur la ferme, mais pratiquement sept jours sur sept. Il fallait traire les vaches soir et matin. Je ne suis pas beaucoup sorti pendant que j’étais adolescent. Mais il faut vous dire que le collège où j’allais, c’étaient juste des gars jusqu’en secondaire 4. Après ça, ça devenait un collège mixte. Et puis là, j’avais hâte d’avoir une première amoureuse et c’est fini par arriver en secondaire 5. Elle s’appelait Nathalie, elle était en secondaire 4.

Au collège, je faisais beaucoup de sport et un peu aussi les fins de semaine. L’été, je faisais du ski nautique parce que j’ai été élevé sur , entre Berthierville et Sorel-Tracy. Les moments de détente, c’était avec mon ami Luc. Lui, c’était un gars de la ville. Il avait un chalet sur l’île et son père avait un yatch. À un moment donné, je me suis tanné parce que tout le monde prenait des vacances sauf moi. J’avais une tante qui habitait à Montréal, elle s’appelait Isola. Je lui ai demandé de me prendre chez elle pendant quelques jours. Alors je quittais la ferme et j’allais à Montréal où je passais quelques jours. Pas plus parce que c’était tout ce qui était permis par mes parents. Je me promenais en métro sur l’île de Montréal, j’allais voir des matchs de baseball. C’étaient mes vacances d’été.

Dans quel milieu familial avez-vous grandi ?

J’étais l’aîné d’une famille de six. Trois gars, trois filles, nés à peu près à un an d’intervalle chacun. Moi, Martin, Caroline, Hélène et les deux derniers étaient des jumeaux. On était une famille tissée serrée. Le sens de la famille, c’est très important, plus que de se réaliser professionnellement et de laisser une trace de son passage sur Terre. Je pense que c’est même ce qui est le plus important pour moi dans la vie. À la fin, c’est tout ce qui reste à mon sens. Moi, j’ai trois enfants avec Martine. Deux enfants biologiques et on a adopté Mathis, le troisième, de Corée du Sud. Ce sont trois enfants formidables et en santé, on est très chanceux et heureux.

Quel est votre parcours scolaire ?

Il n’y avait pas d’école dans mon village, donc je suis allé à l’école primaire à Berthierville, juste à côté de l’île d’où je viens. Après ça, mes parents m’ont envoyé au collège, dans un pensionnat. C’était bien correct, j’ai aimé ça. Après ça, le cégep. Je suis allé à l’Université d’Ottawa en sciences politiques et communication. Puis, j’ai fait une maîtrise au London School of Economics and Political Science à Londres en études stratégiques et relations internationales.

Quel a été votre premier emploi payant ?

Vendre du blé d’Inde de chez nous. Quand tu travailles sur la ferme, il n’y a pas de salaire. Dans la logique de mes parents et je dirais du monde agricole, tu n’es pas supposé être payé pour travailler sur la ferme familiale. Mais en arrivant à l’adolescence, tu as quand même des petites dépenses. Tu as le goût d’acheter des espadrilles. Moi, je suis chasseur de canards, je voulais m’acheter un fusil de calibre 12, mais je n’avais pas d’argent. Alors Papa nous avait dit, à moi et mon frère : « Je vous donne un terrain, une petite terre, et vous faites ce que vous voulez avec ». Nous autres, on avait décidé de semer du blé d’Inde. C’est ce qu’on a fait et on a vendu le maïs. On s’est fait des sous avec ça. L’autre chose aussi que j’ai faite, c’était de ramasser les bouteilles quand le printemps arrivait et que la neige fondait. On allait les vendre, ça nous faisait des sous également. Ça a été mes premières sources de revenus.

Mais mon premier vrai emploi, ça a été d’être guide touristique à Berthierville, le même endroit où j’ai fait mes études du primaire. Il y a une chapelle protestante là-bas : la Chapelle des Cuthbert, un lieu touristique et historique. J’ai travaillé là pendant quatre étés d’affilée. Les gens s’arrêtaient pour visiter la chapelle. C’était moi qui leur racontais son histoire, leur expliquais que c’était la première chapelle protestante du Bas-Canada, etc. C’était la femme du Seigneur Cuthbert, madame Catherine, qui avait fait construire la chapelle et elle était enterrée en dessous. Moi, j’étais tout seul la plupart du temps en attendant que les visiteurs viennent me voir. J’étais donc tout seul avec la morte qui était enterrée sous le jubé. (rires) Mais je vous assure qu’elle était très tranquille, elle n’a jamais fait d’apparitions surprises. Elle ne m’a jamais hanté dans mes rêves ou autrement.

Je vous en parle et je réalise que j’ai travaillé dans la communication très tôt, dès quatorze ou quinze ans. Parce que faire visiter la chapelle à des touristes, c’est un exercice de communication orale. Il faut que tu rendes ça intéressant et que tu racontes une histoire. Alors le fait que je sois allé dans le journalisme par la suite, je pense que ça vient de là. J’ai développé ce potentiel et j’ai peut-être aussi découvert que j’aimais ça. Ça peut expliquer que par la suite, je me suis inscrit en communication à l’Université d’Ottawa, comme je vous l’ai dit, puis que j’ai décidé de pratiquer le métier de journaliste. Je pense qu’il y a probablement un lien. Il n’y a pas juste ça qui l’explique, mais je pense que ça l’explique en partie.

Qu’est-ce qui vous a inspiré à faire de la politique ?

Mon père était très impliqué dans le syndicalisme agricole (l’UPA[1]) et aussi dans le mouvement coopératif (les coopératives comme il y en a encore). Ma mère s’impliquait pour sa part dans le Cercle de Fermières du Québec et l’AFEAS[2]. J’ai un oncle qui a été maire de l’île Dupas. J’ai un arrière-grand-père qui était un organisateur politique. Il n’a jamais perdu une élection apparemment. Bref, ça coulait un peu dans les veines de la famille de s’engager dans la communauté et de faire sa part pour sa société. L’idée de servir et d’améliorer le sort de nos concitoyens, c’était une valeur importante pour nous.

Moi, je me suis intéressé très tôt à la politique et à l’actualité. Je lisais les journaux. J’étais précoce là-dessus, les élèves au collège me voyaient me promener avec un journal et me trouvaient vraiment bizarre. Je découpais les articles, j’en avais une collection. J’avais treize ans quand René Lévesque est devenu premier ministre en 1976. C’est un homme que j’ai trouvé et que je trouve encore très inspirant. Lévesque, pour moi, c’est un modèle d’engagement politique par sa très grande intégrité. Tu sentais qu’il était là pour le peuple et passionné par son peuple. Il voulait l’amélioration de son Québec, de nous comme Québécois. J’ai trouvé ce personnage tellement inspirant. Il m’a inspiré à m’engager en politique.

Ça aurait pu être une femme, mais il n’y en avait pas beaucoup dans ce temps-là. Même très peu. Lise Payette était ministre dans le premier gouvernement de René Lévesque. Puis, il y a eu Thérèse Casgrain, ministre dans les années 60, suivie de Lise Bacon dans les années 70. Pauline Marois est devenue ministre pendant le deuxième mandat de René Lévesque. Il y avait quelques femmes en politique, mais vraiment pas beaucoup.

Y a-t-il des réalisations ou des projets de votre parcours dont vous êtes particulièrement fier ?

Vous êtes du Centre-du-Québec, vous avez dû en entendre parler. On est en train de devenir un leader mondial dans la fabrication des batteries électriques qui vont servir aux véhicules électriques. Comme on le sait, il faut adopter de plus en plus la voiture électrique si on veut diminuer les gaz à effet de serre et lutter contre les changements climatiques. Donc, on va contribuer à créer de bons emplois parce qu’il en faut notamment pour votre génération. Puis, ça va permettre au Québec de contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Je suis très fier de ça. Mais si vous me permettez, je vais élargir la question. C’est mon deuxième passage en politique. J’ai fait de la politique en 2007 à 2016 avec le Parti québécois. J’ai quitté pour revenir à mes premiers amours dans les médias. Puis, je suis revenu avec la CAQ. Pendant mon premier passage, j’ai fait adopter un certain nombre de lois dont je suis très fier. Si vous me le permettez, je vais me péter les bretelles un peu. (rires) Quand j’étais ministre des Institutions démocratiques, j’ai mené un grand débat sur la laïcité qui n’a malheureusement pas mené à l’adoption d’une loi, mais j’ai fait avancer le débat. Je suis très fier de ça également.

J’ai aussi fait voter trois lois à l’unanimité du Parlement. La première, pour limiter les dons à 100 $ aux partis politiques, pour faire en sorte que ce ne soit pas juste les personnes qui ont beaucoup d’argent qui contribuent aux partis politiques Le financement des partis politiques est donc plus démocratique. La deuxième loi, pour instaurer les élections à date fixe, ce qui fait que depuis ce temps, on sait d’avance quand les élections ont lieu. La date est déjà inscrite sur le calendrier, impossible ainsi pour le parti politique au pouvoir de s’en servir pour ses propres intérêts politiques. C’est une façon d’égaliser les chances. Enfin, la troisième loi que j’ai fait voter permet aux étudiants inscrits au cégep et à l’université de voter sur les lieux de leur institution scolaire. Auparavant, ce n’était pas permis, il fallait que tu te déplaces comme tout le monde dans le même bureau de vote. Mais depuis que j’ai fait voter cette loi, quand il y a une élection, les étudiants de 18 ans et plus (qui ont le droit de vote) peuvent voter sur les lieux de leur institution scolaire. Ça veut dire que si vous devez sortir de votre région pour aller étudier dans une autre région, vous pouvez non seulement voter tout court, mais aussi voter pour des candidats de votre région d’origine. L’idée, c’était de permettre aux étudiants de rester enracinés dans leur milieu. En effet, tu ne connais pas forcément les enjeux du milieu où tu vas étudier, mais tu connais très bien ceux d’où tu viens. C’est là que tu as été élevé et ta famille y est encore. Dans la loi que j’ai fait voter à l’unanimité de tous les députés, c’est possible pour vous de voter pour un ou une candidate du comté où vous avez résidé. Je sais que je ne réponds pas à votre question, mais je voulais vous dire que j’étais fier de ça aussi.

Quel est le plus gros risque que vous avez pris dans votre carrière ?

Le risque réputationnel. Quand tu t’engages en politique, tu prends le risque de sortir magané. Moi, je dis toujours que la vie est un combat. Et la vie politique est un combat extrême. Tu peux perdre ton nom. Les médias sont féroces, encore plus maintenant avec les réseaux sociaux. Ils sont devenus un média en soi et font même de la compétition avec les médias traditionnels. Ça crée une espèce de surenchère qui fait en sorte que les médias sont affamés d’informations et de primeurs. Si tu fais une erreur en tant que politicien, tu vas payer cher. Ça n’a pas beaucoup de pardon.

L’été passé, en 2022, j’étais dans les médias. Ça allait bien, j’avais de bonnes cotes d’écoute. Je venais de signer le plus beau contrat de toute ma carrière comme animateur. Je pense que c’était un contrat de 1,3 million pour trois ans, sans compter les bonus. (Je les aurais eus, en plus, parce que l’émission que j’animais était numéro un dans les cotes d’écoute.) J’ai décidé de renoncer à ça parce que je trouvais que ça avait du sens de revenir en politique. La raison première pour laquelle je fais de la politique, c’est que je trouve que ça donne du sens à la vie. Tu te sens utile, tu peux participer à des changements, tu peux faire une contribution à ta société, tu peux changer les choses pour le mieux. Parfois, c’est pour le pire malheureusement, mais tu essaies de faire des changements pour le mieux. De cette façon, tu peux te réaliser comme personne. Moi, c’est ça ma conception de la politique. Je trouvais que ça allait bien dans les médias, j’avais de bonnes cotes d’écoute, mais quand je sortais des ondes après trois heures à la radio, je me demandais : « Qu’est-ce qui reste du trois heures que je viens de faire? » Je trouvais des fois qu’il ne restait pas grand-chose. Il restait de l’éducation populaire, des débats et des idées qu’on avait brassées pendant les trois heures. Ça ne servait pas à rien, mais quand je comparais ça aux lois que j’avais fait voter (celles que je vous ai décrites tout à l’heure), je me disais que ça ne durerait pas dans le temps. Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils retenaient ou apprenaient de l’émission, je ne suis pas sûr qu’ils auraient su quoi me répondre spécifiquement.

Alors, j’ai quitté cette fonction d’animateur où ça allait bien pour retourner dans une arène de combat. Je dis « combat », car tu as quelqu’un en face de toi qui veux gagner comme toi tu veux gagner. Et parfois, le combat est très féroce. S’il faut parfois te tuer politiquement ou te blesser mortellement, ton adversaire va le faire. Il va utiliser tous les arguments possibles pour t’abattre. Moi, j’avais de bonnes cotes d’écoute, le monde m’aimait. Aujourd’hui, si vous faisiez un sondage, il y aurait pas mal moins de monde qui m’aime. Le sondage des personnalités politiques de Léger de la dernière fois a démontré que j’ai pris une descente incroyable. J’ai perdu beaucoup d’appuis dans la population. Il y a beaucoup de gens qui m’aimaient qui ne m’aiment plus aujourd’hui. Mais c’est ça la vie politique. C’est un combat. Parfois, pour faire avancer des idées, il faut mener des combats qui sont assez féroces. Parfois, tu gagnes et parfois, tu perds. Et quand tu perds, tu peux perdre plus que le combat. Tu peux perdre ta réputation, ton nom, ta crédibilité. Le risque que tu prends quand tu fais de la politique, c’est de te faire mal et de te faire du mal.

Est-ce que vous pensez que la population vous soutient moins maintenant parce que vous êtes présentement avec la CAQ ? 

Oui, c’est lié à ça, mais c’est surtout lié au fait que j’ai fait des erreurs pendant mes premiers six mois en tant que ministre de l’Éducation. Ça a donné la possibilité aux médias de me critiquer très férocement, à juste titre jusqu’à un certain point. Ça a beaucoup influencé, je pense, le jugement de la population. Alors, le risque que tu prends, c’est de perdre des plumes, d’être moins aimé qu’auparavant. Mais je reste quand même très heureux de la décision que j’ai prise. Je n’ai aucun regret, je referais le même parcours. Je reprendrais la même décision, même en sachant ce qui s’est passé, parce que justement, ça a du sens ce que je fais. J’ai la conviction que si je continue à bien travailler avec mon équipe, éventuellement les changements que nous allons faire vont s’avérer positifs et les gens qui actuellement me jugent sévèrement vont peut-être, avec le recul et le temps, dire que j’ai fait de bons changements et que j’ai été un bon ministre. C’est comme ça que je vois ça.

Quelle est la partie de votre travail que vous préférez?

Changer les choses. Pour y parvenir, avec ce que je suis en tant que personne (les outils à ma disposition, mes forces et mes faiblesses), c’est par mon engagement politique. Il y en a pour qui ce serait fonder une entreprise, écrire, produire un film, enseigner, etc. Il y a toutes sortes de moyens de changer la société. Mais moi, ce qui me correspond le mieux, c’est la politique. C’est grâce à ça que je peux faire des changements positifs pour la société dans laquelle je vis et que j’aime profondément. Moi, j’aime beaucoup le Québec. Je suis en amour. Je trouve qu’on a une nation extraordinaire et qu’on a une très belle histoire. On est chanceux d’être des Québécois. Je voulais faire ma part pour améliorer notre province et faire en sorte qu’elle soit encore plus belle qu’elle ne l’est déjà.

Le contact avec les gens, j’aime beaucoup ça aussi. La politique nous donne la possibilité de faire beaucoup de rencontres. Chaque personne a une histoire, chaque personne peut nous apprendre des choses si on prend la peine de l’écouter. Chaque personne est un trésor. C’est un peu quétaine ou cliché de dire ça, mais c’est vrai. Tu prends la peine de t’asseoir avec quelqu’un et passées les premières minutes de « small talk », tu te mets à t’intéresser à son parcours, tu vas finir par trouver quelque chose de fascinant. On n’a pas toujours le temps malheureusement de s’asseoir et de discuter, mais moi j’essaie de le faire assez systématiquement. Je fais des rencontres extraordinaires et très inspirantes.

Si vous étiez premier ministre, qu’est-ce que vous changeriez ?

J’ai déjà rêvé d’être premier ministre. Je me suis présenté à la course au leadership du Parti québécois. Finalement, j’ai dû renoncer parce que je m’en allais clairement vers une défaite. Je me suis rallié à celui qui a gagné la course, monsieur Péladeau, qui n’a jamais été premier ministre. Moi, je ne suis pas revenu en politique pour être premier ministre. Je l’ai essayé, mais j’ai trouvé ça difficile d’être dans un esprit de compétition. Ça m’est passé et je ne crois pas que ça me reviendra parce que je suis très comblé par le défi que j’ai à l’Éducation.

Par ailleurs, je trouve que monsieur Legault est un très bon premier ministre, même si actuellement, c’est un peu difficile. Je ne suis pas sûr que je serais revenu en politique si ce n’avait pas été lui. On s’est connus du temps où on était tous les deux députés du Parti québécois. C’est quelqu’un que je connaissais quand même. Quand il m’a demandé de revenir, j’ai accepté au-delà des raisons que je vous ai dites parce que je le connaissais. Je savais qui il était et j’avais le goût de travailler avec lui. Je pense qu’actuellement, on fait de très belles choses. Je vous ai parlé de la filière batterie. Je pense que les projets de loi sur la laïcité et sur la langue que monsieur Legault a fait voter, ce sont de très bons projets de loi. Quand il dit que l’éducation, c’est sa priorité, c’est vrai. On met beaucoup de moyens en éducation actuellement. On a beaucoup augmenté les budgets. Est-ce qu’on devrait les augmenter encore plus ? Sans doute. Mais on a quand même fait beaucoup d’investissements en éducation et je suis fier de ça. Son attachement au Québec est sincère. Alors non, je ne rêve pas de devenir premier ministre. J’ai déjà rêvé à ça. Mais là, je travaille avec un premier ministre que j’aime beaucoup, puis ça me convient. J’ai assez d’ouvrage de même. (rires)

Trouvez vous que la question sur la pluralité des genres est pertinente ? Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Bien sûr qu’elle est pertinente. C’est quoi la pluralité des genres, dans le fond ? C’est vaste. Il faut toujours se rappeler qu’on naît avec un genre, garçon ou fille, mais assez rapidement il y a des garçons et des filles qui ne se sentent pas bien dans leurs corps. Ils ne se sentent pas gars, elles ne se sentent pas filles. Alors on se retrouve dans ce qu’on appelle la dysphorie de genre. Donc, ces personnes ne sont pas d’une certaine manière dans le bon corps, même si c’est le corps avec lequel ils sont nés à la naissance. Ils se retrouvent dans un corps qui les rend malheureux et qui les fait souffrir. Il faut permettre à ces garçons et ces filles de changer de genre. Il faut leur donner la possibilité de le faire. On a des garçons qui décident d’amorcer une transition vers une autre identité de genre. Inversement, on a des filles qui amorcent une transition vers une autre identité de genre. Il faut que la société les accompagne là-dedans. Le système de santé le fait. Il faut accepter d’en discuter, comme on le fait présentement.

Il y a un nouveau cours qui va être introduit dans toutes les écoles du Québec l’année prochaine qui s’appelle « Culture et citoyenneté québécoise ». Dans ce cours, ces enjeux d’identité de genre seront abordés ouvertement. Maintenant, il faut le faire au bon moment. Ce sont des enjeux qui sont très délicats. Il faut toujours y aller avec mesure. Il y a un âge pour discuter de différents enjeux. Je pense que cette discussion, il faut l’étaler dans le temps. Il faut l’aborder au moment où l’élève est prêt à l’aborder. Il ne faut pas lui imposer une discussion qu’il n’est pas prête à avoir. C’est très important. Il faut que les adultes respectent le rythme auquel nos jeunes sont prêts à discuter de ces enjeux. Il faut se garder comme adultes d’imposer des valeurs ou une idéologie sur ces questions. Il faut le faire, mais de façon responsable.

Concernant les dernières grèves et celles qui s’en viennent, comment espérez-vous que la situation se règle ?

J’espère que ça va se régler avec une entente. Honnêtement, j’espère qu’on va éviter la grève, même si au jour où on se parle, ça semble plus probable qu’il y ait grève qu’il y ait entente. Mais écoutez, je n’ai pas le choix d’être optimiste et d’avoir l’espoir qu’on peut éviter ça. Une grève, au bout de ligne, tout le monde en sort perdant. J’espère qu’on va trouver un terrain d’entente avec les syndicats. Pour le moment, c’est difficile. Mais il ne faut jamais perdre de vue que tout le monde (c’est-à-dire moi comme ministre, le gouvernement, les syndicats, les enseignants et enseignantes ainsi que le personnel scolaire) travaille pour une chose. C’est que vous ayez la meilleure éducation possible et que vous puissiez réussir votre parcours scolaire. On ne s’entend pas nécessairement sur les moyens d’y arriver, mais on a le même objectif. Si on garde en tête le bien et la réussite de l’enfant, je ne peux pas croire qu’en bout de ligne, on ne puisse pas trouver un moyen de s’entendre. C’est l’espoir que j’ai.

Que pensez-vous de l’urgent besoin de personnel pour les besoins à adopter dans les écoles ?

On en a besoin, mais le problème, c’est qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre. Actuellement, il me manque des bras et des têtes. Il me manque des enseignants, des professionnels en éducation, d’éducatrices, de techniciens spécialisés… Il me manque de tout. Alors j’ai des besoins. Les budgets ont beaucoup augmenté. Il y a cinq ans, ils étaient de 15 milliards par année. Aujourd’hui, ils sont de 20 milliards. Ça veut dire qu’en cinq ans, le budget de l’éducation a augmenté en moyenne d’un milliard par année. C’est considérable. Malgré ça, il me manque encore des personnes pour donner des services. Alors ce qu’il faut, c’est qu’on trouve collectivement une façon de convaincre plus de jeunes comme vous de se diriger vers l’enseignement, la psychoéducation et l’orthophonie. J’ai tellement besoin d’aide dans les écoles présentement. J’ai besoin que les jeunes choisissent la carrière de l’éducation. Malheureusement, il y en a beaucoup qui ne la choisissent pas, peut-être notamment parce que tout ce qu’ils entendent sur l’éducation est négatif.

C’est une chose que j’essaie de changer dans les rencontres que j’ai avec les professeurs quand je visite des écoles. J’ai visité à peu près 55 écoles depuis que je suis ministre. Ça fait une par semaine. Un des messages que je porte, quand je rencontre les enseignants et le personnel scolaire, c’est de dire : « Écoutez, il y a toutes sortes de griefs et de problèmes que vous vivez et moi je veux vous aider comme ministre de l’Éducation, mais est-ce qu’on peut dire de temps en temps qu’il se fait de très belles choses dans les écoles ? » Il y a beaucoup plus de positif dans les salles de classe que de négatif. Ça, il faut le dire. Je le dis au syndicat. « Que vous chialez contre ce qui va mal, OK, je respecte, c’est votre job. C’est tout à fait légitime. Mais une fois de temps en temps, « time out ». Arrêtez. Dites que malgré tout, on a des professeurs dévoués et du personnel incroyable qui accompagnent les enfants. Ils leur permettent d’apprendre, leur donnent confiance, les font sourire, les consolent ou les rassurent ». À tous les jours, dans toutes les écoles du Québec, il y a du beau. On n’en entend jamais parler. À un moment donné, il va falloir commencer à parler en beau et en bien du monde de l’éducation si on veut convaincre des jeunes comme vous d’y faire carrière. Si on réussit à le faire, éventuellement je vais avoir les orthophonistes, audiologistes, psychologues, ergothérapeutes et orthopédagogues. Tous ceux dont j’ai besoin pour répondre aux besoins des élèves à besoins particuliers. Mais actuellement, il manque de personnel, je vis une pénurie comme beaucoup d’autres domaines dans la société québécoise.

Le problème de la pénurie est vécu partout dans le monde. Partout. J’étais avec le maire de Helsinki (la capitale de la Finlande) la semaine passée. Il y a des gens en éducation qui me disent que le modèle finlandais en matière de système d’éducation est le meilleur sur la planète. J’avais avec moi le maire de Helsinki, lui-même issu du monde de l’éducation. Je lui demandais comment ça allait, de ce côté. Il me parlait de pénurie de main-d’œuvre. Il manquait lui aussi de personnel scolaire. Alors, c’est une crise que l’on vit partout sur la planète. Évidemment, je n’ai pas de solution miracle à ça, mais je travaille très fort pour essayer de revaloriser le monde de l’éducation. Je pense que l’une des façons de le faire, c’est de recommencer effectivement à parler positivement de ce qu’il s’y fait. On ne peut pas juste parler de ce qui va mal. À un moment donné, il faut parler de ce qui va bien si on veut attirer de nouvelles recrues.

Pour vous, la persévérance scolaire, c’est quoi ?

De ne jamais lâcher. En fait, c’est ma définition générale du mot, pas juste pour la persévérance scolaire. La vie est un combat, comme je le disais. C’est sûr que tu fais face à des difficultés. Tu vas toujours faire face à des difficultés. Il ne faut pas abandonner, il faut aller au bout de son potentiel. C’est ça, la persévérance. Chaque être humain a un potentiel. Il n’y a aucune exception à cette règle. La responsabilité du système d’éducation, c’est de vous donner les outils pour aller au bout de votre potentiel. Malheureusement, parfois on n’y arrive pas pour toutes sortes de raisons, dont la pénurie. Mais la raison première pour laquelle un système scolaire existe, c’est pour donner aux jeunes que vous êtes des outils pour aller au bout de votre potentiel. Pour aller aussi loin que vous le voulez et que vous pouvez aller. C’est ça, la persévérance.

Quel message voulez-vous lancer aux jeunes de notre région ?

Ce n’est pas juste un message aux jeunes de votre région, que j’aime par ailleurs, mais à tous les jeunes. Croyez en vous. Ne cessez pas de rêver. Ne vous laissez pas décourager par les circonstances du monde d’aujourd’hui. Chaque génération a eu ses défis. Les vôtres sont considérables. Les changements climatiques, c’est immense. Ça vient nous toucher dans notre existence comme êtres humains et ça remet en question carrément la vie sur Terre. C’est assez fondamental. Je peux comprendre que ça crée de l’anxiété chez certains d’entre vous, mais ce n’est pas une raison pour abandonner. Croyez en vous et dites vous qu’il y a peut-être chez l’un d’entre vous ou l’une d’entre vous la solution qui va nous permettre de surmonter ce défi et passer à travers cette crise climatique. Vous devez croire en vous et continuer de rêver. Ce n’est pas parce que le défi est grand que vous allez vous laisser décourager. Il faut que vous vous battiez. La vie est un combat, elle n’est pas toujours sympathique. Mais elle vaut la peine d’être vécue et elle est foncièrement belle.

J’ai vécu en Amérique latine, en Ontario, en Europe et à plein d’endroits et j’ai aussi voyagé beaucoup, notamment grâce à mon métier de journaliste. Je vais vous dire une chose : la vie qu’on a au Québec est formidable. On a une très belle société. On est chanceux d’être Québécois et de vivre ici. On a un bel environnement, de beaux emplois, de l’énergie propre, une démocratie forte et un système scolaire qui n’est pas parfait, mais quand même très bon. Quand on compare les résultats scolaires de partout dans le monde, on se rend compte que les élèves québécois sont parmi les meilleurs. Alors on doit faire quelque chose de bon, hein ? Je vous parle des résultats PISA[3] qui comparent les résultats scolaires de tous les élèves du monde aux mêmes examens (mathématiques, langue d’enseignement, sciences). Les élèves québécois performent très bien dans ces examens. C’est la preuve que notre système d’éducation, malgré tout, a encore beaucoup de forces.

On est chanceux d’être Québécois. Vous êtes chanceux d’être Québécois. Ça, on ne le réalise pas suffisamment parce qu’on est un peuple un peu chialeux par moments. On est très critiques. C’est correct d’être critique, mais il faut aussi s’arrêter et parler un peu du positif. Après avoir dit tout ce qui allait mal, parlons de ce qui va bien. Il faut trouver un équilibre là-dedans. Malgré tous nos grands défis, on a quand même entre les mains une société qui peut nous permettre de faire avancer les choses et d’améliorer notre sort. Croyez-en vous. Dites-vous que vous êtes l’avenir. Moi, en termes d’années, je n’en ai pas mal plus en arrière que j’en ai en avant. Vous, vous en avez beaucoup en avant. C’est incroyable. Pensez-y. Vous avez littéralement la vie devant vous. C’est à vous de décider ce que vous allez en faire. Mais s’il vous plaît, pas de déprime. Oui, c’est triste par moments. Oui, c’est dur. Mais « hey, let’s go ». On se serre les coudes, on avance. Mettez vous en gang et avancez. Ça vous appartient. Je dis ça à mes enfants. Ou plutôt je leur disais ça parce que maintenant, ils sont plutôt grands, ils sont dans la vingtaine. Mais quand ils étaient petits, ils me faisaient une crise. Et ça se finissait parfois en disant : « Écoute, tu es maître de ton destin, tu décides de ce que tu veux. C’est toi qui vas décider de ta vie ». Ça se peut que je fasse un peu pépère ou quétaine, mais ce n’est pas grave.

Que pensez-vous des jeunes qui s’impliquent bénévolement dans leur municipalité ?

Je trouve ça formidable. Je vais vous dire, le bénévolat est tellement une belle école de vie. J’ai aimé l’école, mais j’aimais plus ce qui se passait à l’extérieur de la classe que ce qu’il y avait dans la classe. J’ai appris beaucoup plus par le parascolaire et en m’engageant dans toutes sortes de « patentes ». Il faut que je fasse attention, je suis le ministre de l’Éducation quand même. (rires) Mais je vais le dire comme ça : on peut apprendre autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de la classe. Quand tu décides de t’engager dans une cause, ce que tu donnes de toi-même est tellement enrichissant. Vous allez apprendre et sortir de là grandis, peu importe la cause pour laquelle vous allez vous engager. Le bénévolat, c’est fantastique. Tu te sens bien. Tu as redonné, tu as aidé, tu vois la différence que tu as fait. Alors le bénévolat, je vous encourage à en faire le plus possible. Vous allez être de meilleures personnes. J’ai beaucoup de défauts, mais je suis devenu une meilleure personne grâce au bénévolat. J’en suis convaincu.

Quelle importance doit-on accorder à l’activité physique?

Si tu veux avoir de l’énergie et la santé pour réaliser tes rêves, il faut quand même que tu fasses un peu d’activité physique. Le corps, c’est ton outil. C’est ce qui va te permettre de réaliser tes ambitions. Tu as beau avoir toute la volonté du monde, si ton corps est malade, tu ne pourras pas aller au bout de toi-même. Ça sert à quoi d’avoir des rêves si tu n’as pas l’énergie ou la capacité physique de les réaliser ? Alors l’activité physique, c’est très important. Je prétends qu’un peu comme le bénévolat, le sport est une école de vie. Quand tu fais du sport, tu apprends ce que c’est que de travailler en équipe. Ça reste un concept très important pour réussir dans la vie. Très souvent, tu vas avoir besoin de quelqu’un pour réussir. Cette personne va avoir besoin de toi également. On apprend ça dans le sport. On apprend à s’entraider, travailler en équipe et profiter des forces des uns et des autres pour constituer une seule force. Tu arrives donc à un résultat collectif par l’addition des forces individuelles.

On pourrait me répondre qu’en pratiquant un sport individuel, on n’est pas en équipe. C’est vrai. Mais tu apprends à te mesurer à l’autre et à te dépasser. À gagner et à perdre. C’est plus le fun de gagner, c’est le but du jeu, mais pas à tout prix. Parfois, tu apprends plus par le chemin que tu empruntes que par la victoire ou la défaite. Le sport peut t’apprendre tout ça. Je crois en ça. Tu as de la peine après une défaite, c’est normal. J’ai perdu, moi, c’est arrivé souvent. La vie, c’est aussi ça. Tu perds, tu tombes. Mais tu te relèves. Tu apprends dans la défaite. Pourquoi j’ai perdu ? Pas assez de préparation ? Pas assez en forme ? Pas assez travaillé avant ? Mauvaise stratégie ? Je n’ai pas respecté l’autre ? Finalement, l’adversaire était mieux préparé que moi ? OK, mais la prochaine fois, je vais l’avoir. Alors le sport, c’est nécessaire et très important. Ça fait partie d’un équilibre de vie.

Vous avez dit : « Ça sert à quoi d’avoir des rêves quand on n’a pas l’énergie de les réaliser ? » Je voudrais apporter un sous-point : pour les personnes et surtout les jeunes avec des handicaps ou des maladies chroniques, pour vous ce serait… ?

D’abord, il faut les aider. Mais c’est vrai que si tu es une personne handicapée, tu es très limitée, c’est certain, dans le sens où tu ne peux pas te donner les mêmes objectifs qu’une personne sans handicap. Mais les objectifs que tu vas te donner, propres au monde dans lequel tu vis, vont être à la mesure de tes capacités. On ne peut pas mesurer deux succès de la même façon, surtout si un handicap entre en jeu. Mais ce qui est sûr, c’est que la réussite d’une personne handicapée n’est pas moins grande ou moins valorisante. Voir quelqu’un réussir à atteindre des objectifs qui a priori paraissaient inatteignables à cause d’un handicap, ça peut être incroyablement inspirant. Ça peut donner de l’espoir à la société.

Quels sont les impacts positifs de la légalisation du cannabis et les effets négatifs de la légalisation de cette substance ?

Moi, j’ai fumé. À un moment, j’ai décidé d’arrêter parce que je nuisais à ma propre santé et je prenais le risque de ne plus avoir les capacités physiques de pouvoir réaliser mes rêves. Le jour où tu réalises ça, tu arrêtes de fumer. Même chose pour la vapoteuse. Je ne juge pas ceux qui fument ou vapotent parce que je suis passé par là. Mais je pense que si tu réfléchis aux conséquences, tu vas te rendre compte qu’au-delà du plaisir immédiat que tu as, tu risques de te priver de moyens pour te permettre de vivre tes rêves et d’aller au bout de ton potentiel. Tu réalises que le plaisir à court terme ne vaut pas les dommages que tu crées sur le moyen et long terme. Ce temps est précieux, c’est parce que tu l’as que tu peux réaliser tes rêves et vivre des moments de bonheur et d’accomplissement. Mais ça vient avec le temps. Il y a des choses que tu ne vois pas quand tu es plus jeune et avec le temps tu t’en rends compte. C’est pour ça qu’il y a des gens qui fument et qui à un moment donné finissent par arrêter.

[1] Union des producteurs agricoles.

[2] Association féministe d’éducation et d’action sociale.

[3] Programme international pour le suivi des acquis des élèves.