Entrevue avec François Legault, Premier ministre du Québec, réalisée par Noémie Boutin, Juliette Léveillée, Marie-Pierre Beaudet, Ève Rioux et Éléonore Guévin-Roy des Comités 12-18 de Ste-Sophie d’Halifax, L’Avenir et Tingwick.
Quelle personne vous inspire dans la vie ?
Dans ma jeunesse, il y avait un politicien inspirant, aimé de tout le monde et proche du monde. C’était René Lévesque. En politique, c’est lui qui m’inspire. Dans le monde des affaires, je dirais Bernard Lemaire, il est décédé dernièrement. C’était vraiment un entrepreneur. Les frères Lemaire ont lancé une entreprise (Cascades) et ça m’a donné le goût de faire comme eux. J’ai lancé une compagnie aérienne qui s’appelle Air Transat.
Pourquoi vouliez-vous devenir Premier ministre ?
Il y a toujours eu deux sujets qui sont importants pour moi et à la base de mon implication politique. En tant qu’homme d’affaires, l’économie, c’est essentiel. Quand on compare la richesse du Québec avec celles du Canada et des États-Unis, on est moins riches qu’eux pour toutes sortes de raisons. Les francophones, pendant longtemps, n’aimaient pas les affaires. On était encore en rattrapage et maintenant ce qu’on essaie de faire entre autres, c’est de développer de nouveaux créneaux. Comme dans votre coin à Bécancour, avec la filière batterie. On voudrait attirer davantage d’investissements en offrant de l’électricité, de l’énergie verte.
Le deuxième point que je trouve important, c’est l’identité québécoise qui passe par la protection de la langue française. Je suis fier d’être Québécois. J’ai toujours été nationaliste, j’ai même été souverainiste. On oublie des fois (c’est peut-être encore plus vrai pour vous autres) que le français sera toujours fragile en Amérique du Nord. On est quelques millions entourés de centaines de millions d’anglophones. Moi, je viens de l’Ouest-de l’Île, donc j’étais vraiment entouré d’anglophones à Montréal. Il y a un déclin du français et pour arrêter ce déclin, il faut qu’on commence à augmenter le nombre de francophones. Ce n’est pas facile avec vous autres, les jeunes, parce qu’il y a Internet où presque tout est en anglais (Netflix, Spotify, etc.). C’est vraiment un gros défi. Être aussi riche que nos voisins, ce n’est pas une fin en soi. Mais ça donnerait les moyens de se payer de bons programmes sociaux et d’inverser le déclin du français pour qu’on soit encore plus fiers d’être Québécois.
Comment aimeriez-vous que les gens se souviennent de vous comme Premier ministre ?
Ça c’est facile. J’aimerais qu’ils disent : « François Legault, il a réussi à créer de la richesse et à réduire notre écart de richesse avec nos voisins. Il a aussi réussi à arrêter le déclin du français et maintenant, on est encore plus fiers d’être Québécois ». Mes deux plus grandes raisons d’être en politique sont les mêmes pour lesquelles j’aimerais qu’on se souvienne de moi.
Avec le recul d’aujourd’hui sur la situation de la COVID, qu’est-ce que vous auriez voulu changer ? Les mesures mises en place par le gouvernement ?
D’abord, je dois dire que de façon générale, je suis fier de ce qu’on a fait. On a été sévères, beaucoup plus qu’ailleurs en Amérique du Nord. Je vous donne juste quelques chiffres. Au Québec, pendant toute la pandémie, il y a eu 11 000 morts. Mais si on avait eu le même taux de surmortalité que dans le reste du Canada, on aurait eu 21 000 morts. Si on avait eu le même taux qu’aux États‑Unis, on aurait eu 31 000 morts. Ça veut dire qu’on a sauvé entre 10 000 et 20 000 vies. Il reste que ça a été très dur dans ce qu’on appelle les CHSLD (les résidences pour personnes âgées). On avait l’idée, avant la pandémie d’augmenter les salaires des préposés et finalement on l’a fait au début de la première vague. Si c’était à refaire, je l’aurais fait avant ça.
Quelle est la chose la plus difficile à faire quand on est Premier ministre ?
Répondre aux questions des journalistes comme vous autres. (rires) Je ne sais pas ce que vous allez faire avec ça dans les journaux, mais des fois, on prend un petit bout et on me fait dire des choses que je n’ai pas dites. En ce moment, je vous parle et si vous n’êtes pas d’accord, on peut s’obstiner et échanger. Quand c’est en première page du journal, c’est trop tard. Je me dis que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’avoir dit ça. C’est ça qui est le plus dur.
Quelle situation pendant la pandémie fut la plus difficile pour vous ?
Je dirais que c’est par rapport à vous autres, les jeunes. J’ai des neveux et j’ai deux gars, je sais que ça a été difficile pour vous. Ne pas pouvoir aller dans les gyms alors qu’il y a bien du monde qui aime ça. Ne pas pouvoir voir vos amis. Ne pas pouvoir faire de party le vendredi soir. On disait : « Mettez des masques pour aller à l’école et quand l’école est finie, allez-vous-en chez vous ». Je me souviens quand j’avais treize ans, c’était important de voir mes amis. Je me mettais à votre place et comme le disaient les experts, vous n’étiez pas le plus à risque. Mais vous pouviez transmettre le virus à vos parents et encore plus à vos grands-parents. Eux, ils peuvent mourir. Dans le fond, je vous ai demandé de faire des sacrifices pour sauver des vies, mais ça me déchirait le cœur de le savoir.
Comment le conflit israélo-palestinien affecte votre travail depuis les récents événements ?
Qu’est-ce que vous en pensez, vous ? (rires) Je pense que ça s’ajoute à toute la morosité qu’on a. Avec l’inflation, le coût de la vie a beaucoup augmenté, donc l’épicerie coûte plus cher, le loyer coûte plus cher, etc. Maintenant, en plus de tout ça, ils ouvrent la télévision et voient des enfants qui se font tuer. On a beau se dire que c’est loin, ce sont des vrais enfants qui sont tués. C’est dur pour le moral. Évidemment, on souhaite tous que ça se termine. C’est un conflit qui existe depuis longtemps et qui ne sera jamais facile à régler. Ça ajoute à la lourdeur.
Quel impact apporte la grève dans votre travail ?
Oh, boy ! J’ai été trois ans Ministre de l’Éducation, j’ai passé beaucoup de temps dans des écoles. Je sais que la grève, ce n’est pas bon pour les jeunes. Quand tu manques une semaine, puis deux, puis trois, c’est difficile après de rattraper ton retard. Ça, je trouve ça dur. Évidemment, on essaie avec l’argent qu’on a de s’entendre avec les enseignants sur leurs salaires et leurs conditions de travail. Je voudrais que ça aille plus vite. Ça a un impact sur la scolarité des enfants et moi, c’est ce qui m’achale le plus.
Trouvez-vous que la question de la pluralité des genres est pertinente et quelle est votre opinion sur le sujet ?
C’est un nouvel enjeu partout dans le monde. Avec Suzanne Roy, la Ministre de la Famille, on a nommé un comité des « sages ». Ce sont des gens qui connaissent la sociologie et qui vont regarder ce qui se fait ailleurs. C’est un nouvel enjeu de se dire qu’il y a des personnes qui ne sont ni des hommes ni des femmes et qui se demandent : « C’est quoi ma place ? Est-ce que je peux avoir un X sur mon certificat de naissance ? Est-ce que je devrais avoir accès à des lieux, des toilettes et des services de façon différente ? » Il y a plein de questions qui se posent. Il faut y réfléchir. Ce n’est pas évident. Il y a des parents qui trouvent ça dur. Par exemple, vous avez treize ans, vous voulez changer de sexe, vos parents ne veulent pas, qu’est-ce qu’on fait ? Ce sont des questions fondamentales qu’on ne se posait pas quand moi j’avais treize ans, mais on doit se les poser actuellement. Il y a des experts qui vont se pencher là-dessus. Comme c’est un enjeu qui se passe partout dans le monde, ils vont regarder ce qui se fait ailleurs. Ils vont nous revenir avec des recommandations.
Avec les derniers résultats des sondages électoraux, comment envisagez-vous l’avenir du parti ?
Les sondages, ça monte et ça descend. Six mois, en politique, c’est une éternité. Il reste trois ans avant la prochaine élection, ça veut dire qu’il reste six éternités. Ça va continuer de monter et de baisser, mais j’essaie de ne pas trop regarder les sondages, même quand ils sont en ma faveur. Ce qui est important, c’est de faire les changements qu’on veut faire et obtenir des résultats. Nous, on a cinq priorités : l’éducation, la santé, l’économie, l’environnement et l’identité québécoise. J’essaie de regarder comment ça avance dans ces dossiers plus que comment ça avance dans les sondages.
Comment conseilleriez-vous quelqu’un qui veut se lancer en politique ? Quelles études doit-il/elle faire ?
Je pense que c’est important, avant de se lancer en politique, d’avoir une expérience de vie, d’avoir eu au moins un autre job avant. En politique, tu représentes tes concitoyens. Il faut que tu connaisses les enjeux sociaux et ça ne s’apprend pas juste à l’école, mais aussi par les expériences professionnelles.
Pour vous, la persévérance scolaire, c’est quoi ?
Pour tout le monde, moi le premier, il y a des moments quand on est à l’école que ça ne va pas bien. Tu as des mauvais résultats, tu te fais écœurer (dans la vraie vie ou sur les médias sociaux), tu te retrouves avec d’autres problèmes et tu as le goût de tout sacrer ça là. Il faut résister. Aujourd’hui, on est dans une société du savoir. Si on veut avoir un job stimulant intellectuellement, il faut avoir fait un minimum d’études. C’est long, travailler. Ça se peut que vous travailliez jusqu’à 70 ans si vous êtes en forme. Ça vaut la peine d’étudier, d’aller jusqu’au bout et de passer à travers les moments les plus durs. En somme, de persévérer.
Quel message voulez-vous lancer aux jeunes de notre région ?
On travaille fort dans votre région. Je me souviens qu’il y a vingt ans, c’était dur au Centre-du-Québec et en Mauricie. Quand je comparais le revenu moyen, c’était plus bas que la moyenne du Québec pour toutes sortes de raisons. Il y a eu longtemps des industries dans le secteur du papier à Trois-Rivières et en Mauricie et, avec le temps, elles ont disparu. Même chose pour les compagnies à Shawinigan. Il fallait arriver avec quelque chose de nouveau dans la région. Ce qu’on a fait, entre autres avec la filière batterie, c’est d’amener des jobs : fabriquer des batteries pour des véhicules électriques. Ça va être long de passer des véhicules à essence aux véhicules électriques. Ce n’est pas rien de recevoir à Bécancour des grosses compagnies comme General Motors (GM) et Ford. On avait un parc industriel. Je me souviens l’avoir visité il y a vingt ans. On disait : « C’est le plus grand parc industriel au Canada à Bécancour ». C’est sur le bord de l’eau en plus, c’est bien situé pour le transport des marchandises par bateau. Le parc était vide à l’époque. Maintenant, il est plein. Même que l’inquiétude des entreprises, c’est : va-t-on trouver assez d’employés ? Ce sont de beaux problèmes. Il va falloir qu’on mette en place des formations. Mais je pense que c’est une bonne nouvelle pour le Centre-du-Québec et la Mauricie.
Que pensez-vous des jeunes qui s’impliquent bénévolement dans leur municipalité ?
C’est super! J’adore ça. La solidarité, ce n’est pas juste Québec Solidaire. La solidarité, c’est à la base d’une société. Il faut s’aider les uns les autres. Dans la vie, il y en a qui ont plus de talent que d’autres, il y en a qui sont plus choyés que d’autres. Quand tu es plus choyé, il faut que tu t’occupes de ceux qui le sont moins. Il faut que tu penses à eux, pas juste à toi. Ça commence tôt. Ça commence dans les organismes et les municipalités. Éventuellement, grâce au bénévolat, il y en a qui vont faire de la politique.
Quelle importance doit-on accorder à l’activité physique?
J’aime ça, je suis un passionné de sport. J’ai deux gars aujourd’hui qui ont 30 et 31 ans. Dès qu’ils ont été capables de marcher, ils n’avaient pas le choix, ils jouaient au tennis parce que je suis un maniaque de tennis. Je leur ai en plus appris le ski. Il y en a un qui me critique parce que j’aurais dû lui apprendre le hockey. Mais c’est une autre affaire. Le principe de dire que le sport aide à la réussite scolaire, moi j’y crois. En plus, ça déstresse. Pour moi, c’est bien important.
Que pensez-vous de la relation entre les jeunes et la cigarette et/ou la vapoteuse ?
Je n’aime pas ça. C’est pour ça qu’on a enlevé les saveurs dans le vapotage. Il y en a qui n’ont pas aimé ça. Il faut tout faire pour éviter de tomber là-dedans. Ce n’est pas bon pour la santé.