Entrevue avec Jean Morin, propriétaire de la Fromagerie du Presbytère, réalisée par Shelby Croteau, Malyck Jacques et Maëlie Turcotte du Comité 12-18 de St-Rémi-de-Tingwick
Décrivez nous votre entreprise en général ?
En général, c’est une fromagerie qui transforme le lait de notre ferme, celle de mon arrière‑grand‑père. C’est moi qui ai pris la relève de la ferme avec mon frère et on a décidé de faire du fromage, parce que je rêvais d’en faire un jour. Un beau jour est arrivé devant chez nous un presbytère à vendre. « Une belle place pour faire une fromagerie. » J’ai étudié en Europe à faire des fromages. Je me suis embarqué dans la fromagerie. Mon frère s’est occupé un peu plus de la ferme. Il a vendu toutes ses parts de ferme, je les ai achetées et je les donne à mes enfants. J’ai 4 enfants qui prennent la relève et c’est eux qui s’occupent aujourd’hui de la ferme. Sommairement, on transforme le lait de notre troupeau en fromage fin et fromage en grains.
Quel type de métier peut-on retrouver dans votre entreprise ?
On touche à plusieurs métiers. Il y a des curés, des fromagers, de l’assistance à la direction générale. On a fait le tour hier à une technicienne en qualité spécialisée dans le contrôle de la qualité, les normes de salubrité et l’hygiène. Par exemple, dans la fromagerie chez nous, la peinture est une peinture spéciale acceptée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, parce que c’est un peu le ministère de la Santé et des Services sociaux qui génère nos besoins en hygiène. Ça prend aussi des équipes à l’emballage et à la gestion. Quelque chose qui est ben à la mode, c’est quelqu’un qui gère les réseaux sociaux et qui est actif là-dessus. C’est surtout des gens qu’on veut garder avec nous, des gens de passion. C’est un métier, être passionné. C’est le plus beau métier. La passion de son travail.
Quelles sont les valeurs de votre entreprise ?
Les valeurs sont sur la qualité. Je dis à tous les gens qui travaillent avec moi le matin, quand on arrive : « Qu’est-ce qu’on pourrait faire aujourd’hui pour être meilleur qu’hier ? » Ça sert à tout le monde dans la vie, mais nous autres, quand on fait le fromage, mettons le fromage bleu. Sur le dessus, il y a un petit défaut quelque part dans la pâte qui est un peu agaçante, eh bien, nous, on travaille dessus pour corriger ça. On goûte à tous nos fromages. La principale qualité, la philosophie de l’entreprise pour moi, c’est de faire le meilleur fromage au monde. C’est toujours le but, dans chacun de nos gestes. Quoi faire pour être meilleur qu’hier ?
Quelles qualités de base recherchez vous chez vos employés quand vous les embauchez ?
On recherche des gens qui seraient heureux à faire ça et qui n’auraient pas peur de prendre des responsabilités. On espère aussi qu’ils soient aussi attentionnés dans ce qu’ils font, c’est-à-dire que c’est pas des clous qu’on fait, c’est des aliments. La répercussion d’un geste peut se rendre à Toronto. Un fromage mal emballé, par exemple. Assumer les tâches de qualité. C’est ce que je souhaite avoir : des gens consciencieux, qui le deviennent ou qui le sont déjà. Comment on fait dans une entrevue pour trouver ça ? C’est difficile, mais on le détecte assez vite après quelques semaines.
Y a-t-il des réalisations ou des projets de votre entreprise dont vous êtes particulièrement fier ?
Je suis fier de tout l’ensemble des projets. Je suis agriculteur. Ma fonction première, c’est de nourrir les humains. Ma plus grande fierté, c’est quand je nourris les humains, parce qu’ils font des sourires et ils sont heureux. Ça, c’est ma grande fierté. Rendre les gens heureux. À partir du même brin d’herbe. Les vaches mangent ce brin d’herbe et font du lait. Nous, on en fait du fromage : du bleu, en grains… C’est comme des petits magiciens là-dedans. Avec ça, on fait des heureux. Tout ça, avec la dynamique de garder la ruralité encore vivante. Par exemple, Saint‑Rémi. C’est un beau petit village, mais on dirait qu’il a perdu sa nature. Ça va prendre des jeunes comme vous pour bâtir des belles affaires. Notre petit village ici, il y a encore un poste à gaz, une église, un magasin général où tu peux t’acheter des Jos Louis et de la liqueur. Il y a une petite fromagerie et il y a du monde qui viennent faire un tour. C’est le fun, c’est ce qu’on souhaite avec tous les petits villages : qu’ils soient vitalisés par des gens comme vous autres.
Selon vous, quels sont les avantages à travailler en région ?
Il y a juste des avantages. Je vois pas l’avantage que j’aurais à travailler en ville. L’avantage de travailler en région, c’est d’abord beau le matin quand tu te lèves. Il y a toutes sortes d’emplois en région. Si tu t’en vas à Saint-Félicien, Saint-Élie-de Caxton, Sainte-Élisabeth, Saint‑Rémi‑de‑Tingwick, il y a plein de choses. Les emplois en région, c’est ce qu’il y a de plus précieux, parce qu’on assume qu’on doit laisser à nos employés une qualité de vie. C’est une belle place pour élever des enfants, faire du ski, faire toutes sortes de belles choses… Et surtout, ton travail, tu peux y aller quasiment à vélo. C’est merveilleux.
Comment se passe une journée de travail pour vous ?
C’est typique. Je me réveille à 3 h le matin, j’amène le lait frais à la ferme. Le lait, il sort du pis de la vache, puis est stocké dans un camion, que j’apporte ici à 4 h du matin. Puis, on commence les opérations. Chauffer le lait. Démouler les fromages d’hier. Les opérations de fromage, ça dure de 4 à 8 h. Puis, vers midi, les relations publiques. Les réunions avec les employés. Hier, j’ai eu un meeting avec Radio-Canada qui m’avait appelé pour faire une réunion. J’avais aussi une dégustation hier au Carré 150, parce qu’il y avait un vins et fromages pour accompagner un vernissage. Le matin, c’est le travail des fromages et l’après-midi, les travaux connexes.
Quelle est la partie de votre travail que vous préférez?
J’aime nourrir les humains, comme je disais tantôt. Relever le défi quotidien d’être meilleur. Faire des bons fromages. On travaille avec des aliments vivants. Le lait, ça vit, il y a plein de bactéries là-dedans. C’est vivant. Ça va pas toujours là où tu veux, c’est pas comme du fer. Ça nous interpelle à être à l’écoute de ce que c’est. C’est de la matière vivante. Le plus beau de la vie, c’est de travailler avec du vivant. Les bactéries dans le lait, le ferment que je mets dedans. Ce sont des humains qui travaillent autour et qui mangent ça. On est loin des embaumeurs. (rires)
Jusqu’où rêvez-vous d’amener votre entreprise ?
J’ai pas mal l’impression que je suis rendu là où je voulais être. Je veux vraiment que la fromagerie soit transférée à mes enfants, mais avec des projets différents et nouveaux. Amélioration de ci, amélioration de ça. Je travaille souvent en meeting avec mes enfants pour décider ce qu’on va améliorer. Améliorer le magasin général ? Qu’est-ce qu’on va se donner comme saison ? Bref, toujours améliorer la fromagerie.
Pour quelles raisons devrait-on travailler pour votre entreprise ?
Parce qu’on aime faire de la nourriture, faire du fromage. On aime l’environnement, l’ambiance et la dynamique de l’entreprise. On aime que ce soit vivant, on aime être respecté aussi, surtout ça. Le respect, c’est l’élément le plus fort qu’on a et dont on a besoin quand on travaille.
Qu’est-ce qui vous inspire dans la vie ?
Les gens heureux. (rires) J’ai un bon ami qui s’appelle Fred Pellerin, je le trouve inspirant. Les choses bien faites, ça m’inspire. Quelqu’un qui s’applique à faire du vin, de la confiture, du pain. Quelqu’un qui fait de bonnes choses. Un grand chef cuisinier. Il sait, lui, qu’en composant ça, ça et ça, ça va faire un beau bagage. C’est comme un artiste qui écrit. Il prend ça où, lui, dans sa tête, pour écrire un livre ? Ou pour écrire un film ? La créativité m’inspire.
Pour vous, la persévérance scolaire, c’est quoi ?
C’est la vie. Si tu commences à chier à terre à l’école, tu vas chier à terre toute ta vie. Oui, ça se peut que tu aimes pas le cadre de l’école, parce que il y a du monde à l’école qui t’énerve, t’es mal-aimé, t’as pogné un mauvais prof, le voisin est fatigant, etc. Mais en général, la persévérance, ça permet d’aller plus loin. Après l’école, c’est autre chose. Vous pouvez pas vous imaginer ce qu’on a comme embûches quand on part une patente de même. Moi, c’est le fun, je peux conclure en beauté, mais c’est rien que des embûches. Quand il y a des embûches, mettez votre cerveau en mode « solution ». Mettons, tu sors de la maison, tu te blesses. Il faut que tu trouves une solution. La persévérance, c’est de trouver des solutions. La vie nous met des bâtons dans les roues, tout le temps. Quand t’es en mode « solution », t’actives la persévérance. Ça prend la persévérance pour trouver des solutions aux problèmes.
Quel message voulez-vous lancer aux jeunes de notre région ?
Lâchez pas. (rires) Vous êtes dans une mosus de belle région, vous vous en rendez pas compte. J’arrive le matin, j’ouvre le robinet, il coule de l’eau. Il fait 22 °C. Cibole, et j’ai juste tourné le thermostat. C’est le fun, ça. Dans un environnement comme ça, je peux travailler à pied ou à vélo. Je peux respirer de l’air pur. Ça prend pas un gros média pour s’apercevoir qu’il y a du monde, c’est pas sûr qu’ils mangent et ça se peut qu’ils passent l’hiver au froid. S’ils sortent de la maison, ils peuvent se faire bombarder ou mitrailler. Ils n’ont pas le droit de parler. Ils ont la face voilée. Aux États-Unis, ça te prend quasiment un gun. Faudrait que t’aies ton cours d’arme à feu, parce que tu le sais pas, pour t’en aller à St-Rémi-de-Tingwick, tu peux pogner un chevreuil. On est dans un mautadit beau environnement. On a de la chance. On s’en rend pas compte, on est dedans. Quand tu te lèves le matin, tu te dis : « Wow, il fait chaud dans la maison. » On est chanceux d’avoir ça.
Que pensez-vous des jeunes qui s’impliquent bénévolement dans leur municipalité ?
J’adore cette volonté de faire du bénévolat, c’est ce qui constitue la richesse d’un pays.
Quelle importance doit-on accorder à l’activité physique?
C’est comme obligatoire. Il y a des gens qui se mettent à faire de l’activité physique ou qui se mettent au régime pour maigrir. Quelle mauvaise décision. L’activité physique, c’est comme une dose de drogue. Quand t’en fais, tu reviens, t’as de l’air frais dans les poumons, ça fait du bien de te grouiller. Vous le voyez moins à votre âge, mais on le voit en vieillissant. C’est donc bon d’avoir de l’air propre. On revient chez nous et on est fier d’avoir fait ça. Il faut s’amuser à le faire. Si tu aimes pas faire du jogging, fais-en pas. Va faire autre chose. Il y a tellement de belles choses à faire pour grouiller. À moins d’avoir des problèmes physiques graves, c’est important de faire de l’activité physique.
Que pensez-vous de la relation entre les jeunes et la cigarette et/ou la vapoteuse ?
Je me demande comment ça se fait que ça existe encore. On en parle moins, de ça. Je vous le dis, j’ai 4 enfants et il y en a pas un qui fume. Ils sont une trentaine quand il y a des fêtes, mes enfants ont entre 25 et 30 ans. C’est l’âge que c’est festif. Mais personne fume. Mettons qu’il y en a un qui fume, il est mal vu. Il se fait traiter de puant. Dans la vie, tu peux être cool, mais à partir du moment où tu te fais traiter de puant, c’est pas drôle. Tu as pas envie de te faire traiter de puant. Quand tu fumes, mautadit que t’es puant. Sans parler de l’argent et la santé.
Quels sont les impacts positifs de la légalisation du cannabis et les effets négatifs de la légalisation de cette substance ?
On a pensé qu’il y aurait moins de monde en prison, parce qu’on arrêterait de courir après les petits morveux de vendeurs de pot. Malheureusement, ça a juste dévié le problème un petit peu. Ça amène à la consommation de la drogue à des niveaux encore de banditisme. C’est en partie encore la mafia qui s’occupe de ça. L’avantage, par contre, c’est que ça peut être thérapeutique. J’ai un drôle d’ami qui fume du pot, il va chercher çà à la Société québécoise du cannabis (SQDC). Il ramasse ce qu’il veut. Je veux à base de ça, de ça, de ça. C’est contrôlé. C’est donc moins risqué. Sa mère se choquait après lui. Il travaille avec nous à la fromagerie, il a 25 ans. Sa mère se choque : « Tu vas arrêter de prendre de la drogue ? » Il dit : « Toi, la mère, t’as vu le pot de pilules que tu manges ? C’est qui entre nous qui est le plus drogué ? » (rires) Je sais que ça aide beaucoup, que c’est thérapeutique. C’est géré presque de façon médicale. À mon sens, c’est naturel. Mais quand on en a, il y a le risque que ça amène de la corruption, le banditisme, les gangs de rue et, naturellement, la dépendance